Les Grands de ce monde s'expriment dans

Le rêve arménien

Marie Jégo - Le président Kotcharian et vous-même êtes les initiateurs de la stratégie de la " complémentarité ", c'est-à-dire d'une politique étrangère équilibrée entre la Russie, les États-Unis et l'Iran. Comment est-il possible de maintenir cette ligne avec une Russie de plus en plus autoritaire, un Iran de plus en plus réactionnaire et une administration américaine de plus en plus impliquée dans la région ?
Vartan Oskanian - Il ne s'agit pas d'une politique d'équilibre, comme beaucoup ont tendance à le croire. L'équilibre implique la symétrie entre les partenaires, qui doivent être traités sur un pied d'égalité. La complémentarité repose, au contraire, sur l'asymétrie. Les relations entre l'Arménie, la Russie et les États-Unis diffèrent, par exemple, en intensité. Elles ne sont pas guidées par des considérations idéologiques mais se sont établies au gré des besoins, des intérêts et des souhaits de chacun. Cette politique de complémentarité s'est révélée positive pour l'Arménie et nous entendons la poursuivre, pour autant que les rapports entre Moscou et Washington n'atteignent pas un point de rupture.
M. J. - Justement, qu'arriverait-il s'ils venaient à se détériorer ?
V. O. - Il est vrai que la situation internationale est mouvante. Mais je suis convaincu que le processus de rapprochement entre la Russie et les États-Unis est devenu irréversible. Quand bien même des tensions surgiraient entre ces deux pays, nous continuerions de toute façon dans la voie que nous nous sommes fixée. Pourquoi ? Parce que jamais les deux anciens ennemis de la guerre froide ne reviendront à leurs antagonismes passés, cela ne fait aucun doute. Dans l'état actuel des choses, nous n'avons aucune raison de modifier quoi que ce soit à notre politique étrangère. En un mot : je dirais que nous ne nous sentons pas tenus de choisir entre Moscou et Washington.
M. J. - La politique de complémentarité aurait-elle fait des émules dans la région ? Mikhaïl Saakachvili, le nouveau chef de l'État géorgien, et Ilham Aliev, le jeune président azerbaïdjanais, semblent en effet tentés par cette approche. Pensez-vous qu'à terme cette politique de complémentarité pourrait se muer en politique de neutralité ?
V. O. - Il serait souhaitable que les trois États du Caucase du Sud mènent une politique étrangère concertée. Au début, nos deux voisins ont cherché - inutilement à mon avis - leurs marques entre la Russie et les États-Unis. Ce fut le cas de l'Azerbaïdjan jusqu'à ce que le président Gueïdar Aliev (1) comprenne qu'il fallait changer de ligne et évoluer vers la complémentarité (2). En Géorgie, le contexte était différent. Édouard Chevardnadze était plutôt tourné vers l'Occident et il a maintenu ce cap jusqu'à son dernier jour à la présidence (3). En revanche, son successeur, Mikhaïl Saakachvili, a déclaré, une fois élu (4), que son pays allait faire sienne la politique de complémentarité. S'il y parvient, le Caucase du Sud dans son ensemble en bénéficiera car c'est la seule façon d'éviter l'apparition de lignes de fracture (5) dans la région. Il est vrai que la Russie maintient des …