Faut-il, pour évoquer les rapports entre la France et Taiwan, remonter aux premiers regards français sur le jeune nationalisme chinois ? Cet exercice exposerait à la fois à des surprises littéraires (telle l'hostilité de Victor Segalen - dans son célèbre roman René Leys - à la révolution de 1911, dans laquelle le narrateur voit " la transmission des pouvoirs du Ciel à ceux de la Terre ") et à une confirmation politique : la sympathie spontanée de l'opinion éclairée pour la pensée de Sun Yatsen, cet alliage de tradition chinoise et de modernité démocratique à l'occidentale, ainsi que pour l'action du jeune délégué chinois à Versailles, ce Wellington Koo, ancien étudiant de l'Université Columbia, qui incarna le ralliement de la Chine nouvelle à l'esprit de la diplomatie wilsonienne. Puis, avec les divisions chinoises et les agressions japonaises, viendra le temps des déceptions et des inquiétudes. Mais aussi celui de l'affirmation d'un " compagnonnage " entre deux demi-Grands, intronisés à San Francisco mais exclus de Yalta et de Potsdam, la France du général de Gaulle et la Chine de Chiang Kaishek (Jiang Jieshi).
Bien entendu, le régime taiwanais d'aujourd'hui n'a qu'un lointain rapport avec la Chine nationaliste d'hier. À l'anarchie et à l'immobilisme, il a substitué l'efficacité administrative et politique, et d'éclatants succès économiques, scientifiques, technologiques. Mais il doit supporter l'extraordinaire pression des faits, ce déséquilibre démographique et spatial avec l'immense Chine continentale, qui semble extravagant... Face à Taipei, la France, comme les autres puissances occidentales, hésite entre une connivence fondée sur des valeurs communes et un réalisme teinté de cynisme que lui dicte la raison d'État. Deux temps forts sont à relever dans une histoire heurtée : 1964 et la " doctrine de Gaulle " ; 1994 et la " doctrine Balladur ". Deux temps forts qui restent, l'un et l'autre, d'une grande actualité, puisque le second se veut la reproduction rituelle du premier. Ce dernier trouva son prolongement, dix ans plus tard, dans la posture adoptée par Jacques Chirac lors de l'élection présidentielle taiwanaise du 20 mars 2004. Le quarantième anniversaire de la " doctrine de Gaulle ", célébré par la visite d'État du président Hu Jintao à Paris, coïncide avec un véritable retour aux sources des relations franco-taiwanaises.
1964 : diplomatie secrète et diplomatie de la place publique
Entre novembre 1963 - l'envoi en Chine d'un émissaire français - et le 10 février 1964 -, la rupture des relations entre Paris et Taipei - les relations franco-chinoises traversent trois mois décisifs. À l'époque, l'enchaînement des événements est présenté comme exemplaire : la mission Edgar Faure, engagée dans le secret, devient l'objet d'un vaste débat public visant à " convertir " l'opinion française et à convaincre, autant que faire se peut, les alliés de la France. Dictée " par le poids de l'évidence et de la raison ", cette mission " met en accord le droit avec le fait ".
Quarante ans plus tard, les appréciations portées sur cette affaire (ou sur ce qu'un commentateur a improprement appelé la …
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