Afrique : la bombe à retardement

n° 105 - Automne 2004

Thomas Hofnung - Vous êtes resté près de deux ans, de juin 2002 à mars 2004, à la tête du ministère de la Coopération. Quel bilan tirez-vous de cette expérience ?
Pierre-André Wiltzer - La volonté de redresser notre politique de coopération et notre engagement en faveur de la francophonie a constitué l'axe central de mon action. J'emploie à dessein le terme de " redressement " car, sous le gouvernement de Lionel Jospin - de manière paradoxale -, l'aide française au développement avait régressé dans des proportions très importantes, au moment même où la croissance économique dégageait des ressources supplémentaires. Il aurait été logique, au minimum, de maintenir notre effort en faveur des pays pauvres, notamment en Afrique, et même de l'améliorer. C'est pourtant le contraire qui s'est passé. Au lendemain de ma nomination, en juin 2002, l'urgence consistait donc à remonter la pente, conformément à la promesse faite par le président de la République durant sa campagne électorale. Jacques Chirac avait annoncé que le niveau de l'aide publique au développement serait porté à 0,5 % du produit intérieur brut (PIB) d'ici à 2007, date de la fin de son mandat, soit une augmentation de 50 %.
T. H. - À quel niveau se situe-t-on aujourd'hui ?
P.-A. W. - Fin 2003, on avait atteint le taux de 0,42 % ; et cela, dans un contexte de croissance devenue plus faible - voire, à certains moments, de récession. Par voie de conséquence, les ressources budgétaires disponibles étaient moindres. Néanmoins, le cap est tenu.
T. H. - Le nombre de coopérants français à l'étranger est passé de 20 000 en 1980 à 2 000 aujourd'hui. N'est-ce pas le signe qu'on a changé d'époque en matière de coopération ?
P.-A. W. - C'est exact. Cette évolution n'est pas propre à la France. Elle s'explique par un changement de nature de la coopération : on est passé de la substitution à l'assistance technique. Autrefois, il s'agissait de fournir à des pays nouvellement indépendants, mais manquant de cadres, les moyens d'assurer le fonctionnement des services publics. On envoyait des instituteurs, des professeurs, des techniciens, des médecins, des fonctionnaires. Au bout de quinze ou vingt ans, il est normal que les cadres africains prennent le relais. La diminution du nombre des coopérants était, somme toute, logique. Les coopérants d'aujourd'hui ont des missions de formation ou d'expertise spécialisée. La principale difficulté provient de la dégradation, voire de l'effondrement, des systèmes éducatifs dans nombre de pays. Les ressources humaines existent, mais les structures administratives ou les modes de gestion publique sont défaillants.
T. H. - On évoque depuis plusieurs années la concurrence de plus en plus rude que se livrent la France et les États-Unis en Afrique, ces derniers n'hésitant pas à " chasser " dans le périmètre du " pré carré " français. Est-ce une réalité ?
P.-A. W. - C'est largement un fantasme. Les dirigeants africains eux-mêmes déplorent que les États-Unis ne soient pas plus impliqués dans l'aide au développement. Elle ne représente que 0,12 …