Jacqueline Albert Simon - Dr. Brzezinski, quels seront les principaux chantiers auxquels la Maison-Blanche devra s'atteler au cours des prochaines années ? Et - question concomitante - quelles sont, selon vous, les menaces qui planent aujourd'hui sur les États-Unis ?
Zbigniew Brzezinski - Bien entendu, le premier danger auquel la population américaine est exposée - et, par conséquent, le dossier le plus urgent auquel la prochaine administration devra s'attaquer -, c'est le terrorisme mondial. Il me semble évident que notre politique antiterroriste doit évoluer. Pour une raison simple : si nous voulons remporter cette bataille, il est absolument essentiel que nous agissions avec le plein soutien de la communauté internationale. Or l'unilatéralisme entêté de l'administration Bush nous a, pendant les quatre années qui viennent de s'écouler, aliéné une grande part de ce soutien. Deuxième défi : au Moyen-Orient, conduire une politique susceptible de répondre aux dilemmes qui déchirent cette région depuis des années. Bien entendu, cette politique devra tenir compte de la haine de l'Amérique qui s'est largement diffusée dans cette zone. Troisièmement, il faudra régler le problème posé par la prolifération nucléaire, et s'occuper tout particulièrement des cas de la Corée du Nord et de l'Iran. Quatrièmement, il serait très souhaitable que les États-Unis coordonnent un important effort international visant à stabiliser cette gigantesque partie de l'Eurasie que j'ai appelée, dans mon dernier livre, les " Balkans mondiaux " et qui s'étend du canal de Suez au Xinjiang et de la frontière russo-kazakhe au sud de l'Afghanistan (1). Évidemment, il reste de nombreux autres problèmes, mais ils sont peut-être moins urgents que les quatre que je viens d'exposer. Enfin, une impérieuse nécessité sous-tend tout ce qui précède : il est indispensable de restaurer la confiance des autres nations dans l'Amérique. Ce que je disais au sujet du terrorisme vaut aussi pour le reste : partout, nous ne serons efficaces que si nous travaillons en étroite concertation avec nos alliés. Nous devons donc rétablir un véritable partenariat stratégique avec ceux-ci.
J. A. S. - À vos yeux, quelles erreurs l'administration Bush a-t-elle commises dans les domaines que vous venez d'évoquer ?
Z. B. - Commençons par le terrorisme. Je pense que la définition que l'administration Bush a donnée de ce phénomène est beaucoup trop vague. Cette définition fortement teintée de religiosité, qui dépeint les terroristes comme des êtres maléfiques par essence, désireux de semer la guerre et la destruction sur la planète entière, est bonne pour les slogans ; mais elle ne recouvre pas la réalité qu'elle prétend décrire. Les terroristes ne sont pas l'émanation d'une abstraction théologique. Bien au contraire, ils naissent d'une réalité historique concrète. C'est pourquoi il est absurde de leur déclarer la guerre sur la base de l'affirmation que les terroristes haïssent tout le monde et s'attaquent à n'importe qui. Des terroristes donnés ont des cibles données. Ceux qui en veulent à l'Amérique viennent, pour la plupart, du Moyen-Orient. Notre politique doit donc être double : mener contre ces individus une véritable guerre tout en essayant, …
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