Un petit pays au régime ubuesque, incapable de nourrir ou d’éclairer sa propre population, et dont on n’entend parler qu’à l’occasion de catastrophes (1), fait chanter le reste du monde avec un programme nucléaire entouré de mystère. Cette situation proprement invraisemblable (2) dure depuis maintenant dix ans. Elle constitue une illustration magistrale des déséquilibres auxquels le XXIe siècle est confronté, dans un contraste saisissant avec le célèbre équilibre des blocs de la guerre froide.
Grâce à la dissémination de la technologie nucléaire, l’audace et la brutalité d’acteurs mineurs — voire tout à fait négligeables — peuvent désormais tenir en otage des puissances économiques et militaires de premier plan. On pourrait croire qu’il y a là un beau sujet pour le Conseil de sécurité et ses membres permanents, qui ont la responsabilité particulière que l’on sait en matière de maintien de la paix. Ils n’ont pourtant jamais été capables de dire un seul mot sur la Corée du Nord, pour cause d’objection russe et surtout chinoise, lorsque Pyongyang a fait monter les enchères en janvier 2003 en se retirant du TNP (3). Le multilatéralisme et le droit international, bons l’un et l’autre pour les discours contre l’unilatéralisme américain, mais non pour tous les cas d’espèce, se sont ici heurtés à beaucoup plus fort qu’eux : la conviction de Pékin que la Corée du Nord est à la fois son arrière-cour — en d’autres termes une question dont elle ne doit jamais perdre le contrôle — et une carte maîtresse dans un jeu autrement plus important : celui qui l’oppose à Washington et qui a pour nom Taiwan.
La gravité de la question nucléaire nord-coréenne tient à cette équation complexe : sans l’ambiguïté de Pékin, qui joue les bons offices pour l’organisation de réunions à six pays (4) tout en soutenant les arguments de Pyongyang (5), la Corée du Nord serait vite réduite à l’impuissance. Elle n’aurait peut-être pas même de quoi nourrir son armée (6). Mais le soutien de la Chine obéit à une condition importante : le maintien par la Corée du Nord elle-même d’une politique tout aussi ambiguë que la sienne, qui préserve le plus longtemps possible les chances d’un dialogue de façade — voire, avec un peu de talent, d’un soutien économique de Washington. En clair : pas d’explosion nucléaire qui ne permettrait plus de nier l’évidence et qui obligerait le Japon à resserrer encore ses liens avec Washington ; et prudence sur les essais balistiques qui pourraient avoir les mêmes conséquences (7). L’explosion qui a eu lieu le 16 septembre à la frontière chinoise ne remet pas en cause cette affirmation, car il ne s’agissait pas d’un essai nucléaire (8).
Il ne faudrait pas en déduire que le scénario est écrit conjointement par les deux acteurs, car leur relation est pleine de contradictions. La paranoïa aiguë de la Corée du Nord la porte à la méfiance, y compris à l’égard de son seul et unique allié. Quant à la Chine, elle n’obtient pas toujours ce qu’elle souhaite de Pyongyang. Il serait donc tout …
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