Les Grands de ce monde s'expriment dans

Nicaragua : la démocratie retrouvée

Pascal Drouhaud - Monsieur le Président, pourriez-vous retracer brièvement votre itinéraire ?
Enrique Bolaños - La politique n'est pas pour moi une vocation. En réalité, rien ne me préparait à embrasser une telle carrière. À l'origine, je suis ingénieur dans l'industrie. Avec mon frère, dans les années 1950, j'ai créé une entreprise dans le secteur du textile. Si je me suis lancé en politique, c'est à cause des faits tragiques qu'a connus mon pays au cours des dernières décennies. Au Nicaragua, l'atmosphère a commencé à s'alourdir dans les années 1970. Le 27 décembre 1974, plusieurs responsables politiques ont été enlevés par le Front sandiniste (FSLN). C'était la première fois que ce groupe révolutionnaire faisait parler de lui, mais j'ai tout de suite compris qu'un événement grave s'était produit. J'ai alors cherché à alerter les gens sur le danger que représentaient les Sandinistes, d'abord dans le milieu professionnel qui était le mien, c'est-à-dire celui de l'entreprise. Personne ne voulait me croire. Au fil des mois, les tensions internes s'exacerbaient et le FSLN ne cessait de gagner du terrain. J'avais toujours autant de mal à mobiliser mes collègues contre ce mouvement qui pourtant se réclamait ouvertement du marxisme-léninisme. Il est vrai que le régime d'Anastasio Somoza ne pouvait plus durer.
P. D. - Le 10 janvier 1978, Pedro Joaquin Chamorro, le directeur du grand quotidien La Prensa est assassiné à Managua. Les événements s'emballent : manifestations demandant le départ de Somoza, grèves à répétition, suspension de l'aide militaire américaine. Que faites-vous à ce moment-là ?
E. B. - Je prépare l'avenir. Mon engagement ne faiblit pas. Alors que le Nicaragua connaît des heures cruciales, je réfléchis à ce que pourrait être une voie moyenne entre la défense d'une forme de libéralisme, une approche sociale des problèmes du pays et mon opposition au FSLN.
P. D. - La véritable rupture intervient en 1979 avec le chute du régime de Somoza et la prise du pouvoir par les Sandinistes...
E. B. - À l'époque je n'avais aucune fonction officielle, hormis celle de président de l'Organisation des producteurs de coton de l'est du Nicaragua. À peine arrivés au pouvoir, les Sandinistes ont mis en place un vaste programme de confiscation des terres. Dans le courant de l'année 1979, après le départ de Somoza, le 17 juillet, 200 000 à 300 000 Nicaraguayens ont quitté le pays. Certains chefs d'entreprise ont alors commencé à découvrir le vrai visage du FSLN. Ils ont enfin réalisé que les nouveaux maîtres du Nicaragua étaient en train d'instaurer un régime communiste.
P. D. - Comment avez-vous réussi à mener vos activités d'exploitant agricole alors que le gouvernement du FSLN conduisait une politique collectiviste ?
E. B. - Dès le début, je vous l'ai dit, les biens privés et les actifs industriels ont commencé à être confisqués. Chacun savait que cela pouvait lui arriver un jour ou l'autre, mais il faut bien continuer à vivre. Certains d'entre nous furent tués, comme Jorge Salazar, l'un des leaders de l'opposition. Beaucoup furent emprisonnés …