Les Grands de ce monde s'expriment dans

Serbie : un redressement difficile

Isabelle Lasserre - Le 12 mars 2003, le premier ministre réformateur Zoran Djindjic, qui dirigeait un gouvernement auquel vous participiez, a été abattu à Belgrade. Selon vous, pour quelles raisons a-t-il été assassiné ?
Bozidar Djelic - Djindjic a été assassiné en raison de son immense courage : il avait endossé l'entière responsabilité de l'extradition de Slobodan Milosevic à La Haye, même s'il avait pris cette décision sous l'intense pression exercée conjointement par Carla Del Ponte, le procureur du TPI, par l'administration américaine et par l'Union européenne. En juin 2001, le message de l'Occident était clair : la Serbie démocratique devait extrader immédiatement Milosevic sous peine de se voir couper les vivres et de se retrouver, une nouvelle fois, isolée sur la scène internationale. Le tireur (1) dit avoir agi pour des raisons idéologiques. Il a affirmé qu'il se considérait comme le Gavrilo Princip du nouveau siècle, que son acte était celui d'un héros qui éliminait un traître. Mais ne nous y trompons pas : ce fut aussi un meurtre crapuleux. Depuis plusieurs mois, nous préparions en secret une opération contre le plus grand groupe mafieux du pays, un groupe dont les ramifications remontaient jusqu'au sommet de l'État. L'opération devait être déclenchée le jour même de l'assassinat de Djindjic. Nous avons tardé douze heures (2).
I. L. - Djindjic n'a-t-il pas également été assassiné parce qu'il avait promis à Carla Del Ponte de lui livrer Ratko Mladic, l'ancien chef militaire des Serbes de Bosnie, soupçonné d'avoir trouvé refuge à Belgrade ?
B. D. - Le gouvernement de Djindjic a mené une politique active visant à arrêter les criminels de guerre. On ne peut pas en dire autant du nouveau gouvernement (3).
I. L. - Le procès des assassins (4) de Djindjic est-il une farce ?
B. D. - L'assassinat et le procès de Djindjic font l'objet d'une manipulation politique permanente de la part des opposants à l'ancien premier ministre et des accusés eux-mêmes. La ligne de défense de ces derniers consiste à essayer de présenter Djindjic comme l'un des leurs, un représentant de la mafia, afin de relativiser la portée de ce crime. Ce procès, tout comme celui de Milosevic, aurait pu être l'occasion, pour la Serbie, de rompre avec le terrible passé des années 1990, quand des crimes contre l'humanité étaient travestis en manifestations de patriotisme et quand les trafics en tous genres étaient présentés comme de la débrouillardise parfaitement justifiée dans la mesure où elle visait à lutter contre l'embargo économique. Hélas, c'est loin d'être le cas...
I. L. - Comment s'est passée l'extradition de Slobodan Milosevic ?
B. D. - Juridiquement, l'opposition nationaliste prétend que ce fut tout simplement un kidnapping. Le juge a refusé de laisser sortir Milosevic de prison pour l'extrader parce que son procès pour crimes et malversations n'avait pas encore eu lieu devant la justice serbe. Or c'était la raison de son arrestation fin mars 2001. Djindjic a alors ordonné au directeur de la prison où Milosevic était détenu d'ouvrir les portes du …