Patrick Saint-Paul - Yasser Arafat était plus qu'un simple président pour les Palestiniens. Il s'était totalement identifié à leur cause. À quoi cette extraordinaire popularité tenait-elle ?
Yasser Abed Rabbo - J'ai accompagné Yasser Arafat pendant trente-cinq ans. Je l'ai vu dans les mosquées du Pakistan, où il était reçu comme un symbole de la foi islamique. Je l'ai vu au Capitole, à Washington, où après 1994 il a été accueilli en homme de paix. Je n'ai jamais rencontré personne d'autre qui soit capable, comme lui, de trouver un langage commun avec des gens de tendances aussi différentes : religieux ou non religieux, de droite ou de gauche, pragmatiques ou extrémistes. Ce talent lui a permis d'unir tous les Palestiniens derrière lui. Tout au long de son parcours, durant toutes ces années, il a toujours tendu vers un même objectif : la création d'un État indépendant pour son peuple. Rien ne l'a jamais fait dévier. Les Palestiniens lui en ont été reconnaissants.
P. S.-P. - Comment expliquez-vous son échec ? Pourquoi le révolutionnaire n'a-t-il pas réussi à se muer en chef d'État ?
Y. A. R. - Il est très rare de trouver des personnages qui soient à la fois d'excellents révolutionnaires et d'excellents hommes d'État. Yasser Arafat était déchiré entre deux lignes de conduite. Il n'a pas compris que ce qu'il avait construit était en réalité un embryon d'État, et pas encore un État à part entière. Et il a cru que, pour parachever l'édification de l'État palestinien, il devait poursuivre sa mission de révolutionnaire. Ce conflit intérieur l'a poussé à commettre bon nombre d'erreurs. Mais il n'a pas tous les torts : au cours des trois dernières années, il a été victime d'une campagne visant à le diaboliser. Finalement, je crois que l'Histoire lui donnera raison.
P. S.-P. - Sa mort est-elle l'occasion d'un nouveau départ pour les Palestiniens ?
Y. A. R. - Je dirais : d'un nouveau départ dans la continuité. Ce n'est pas contradictoire. Car il est évident qu'un leader de la trempe d'Arafat ne pourra jamais être remplacé.
P. S.-P. - L'Autorité palestinienne sera-t-elle capable de construire des institutions plus solides et de mettre fin au système autocratique instauré par Arafat ?
Y. A. R. - Il est clair que ce système était taillé sur mesure pour Yasser Arafat et qu'il ne pourra pas lui survivre. Mais les institutions existent ; il suffit de les faire évoluer. La transition en douceur à laquelle on a assisté après son décès est une première étape. La plupart des observateurs pariaient sur une explosion de violence après la mort du raïs, sur une nouvelle plongée dans le chaos. À la surprise générale, les structures mises en place par Arafat ont joué leur rôle : elles ont pris le relais en attendant l'élection du prochain président. Le Parlement, la Loi fondamentale - qui fait office de Constitution -, les statuts de l'OLP : tout était prêt pour faire émerger une nouvelle direction. Du vivant d'Arafat, ces institutions sommeillaient, …
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