La vision est d'absolue désolation : seuls se dressent encore, surplombant une mare de boue, de débris et de cadavres, les dômes de la Grande mosquée Baiturrahman. Les ruelles du vieux quartier du cimetière hollandais, les berges de la Sungai Krueng - jadis bordées de dizaines de troquets -, le grand marché aux poissons de la rue Sisingamangaraja : de tous ces lieux qui ont fait le renom de la ville, il ne reste rien, sinon des traînées de gravats. Banda Aceh, la capitale de la province d'Aceh, sise au nord de l'île de Sumatra, n'est plus qu'une gigantesque morgue à ciel ouvert. Combien le tsunami du 26 décembre y a-t-il fait de morts : 80 000, 100 000 ? Plus d'un mois après le drame, Aceh ressemble toujours à un champ de ruines, et il faudra des mois, des années peut-être, pour rebâtir les petits villages côtiers rayés en un instant de la carte. La province est ainsi devenue le triste symbole d'une Indonésie que tout accable : attentats fondamentalistes, conflits communautaires, catastrophes naturelles...
Depuis la démission forcée du président Suharto en mai 1998, l'Indonésie est entrée dans une période de profonds bouleversements sociaux et politiques, dont on n'a peut-être pas encore pris toute la mesure. L'incertitude sur l'avenir politique du pays n'a malheureusement pas été réduite par l'élection à la tête de l'État, le 20 septembre 2004, avec 61 % des suffrages, de Susilo Bambang Yudhoyono - nouvel " homme fort " dont
les convictions démocratiques doivent encore subir l'épreuve du feu de difficiles arbitrages politiques.
En juillet 2004, commentant le déroulement pacifique du premier tour de l'élection présidentielle à Djakarta, l'ancien président américain Jimmy Carter se réjouissait d'assister à une " merveilleuse transition vers la démocratie ". La réalité est pourtant autrement plus complexe que ne le suggère ce diagnostic hâtif. Plus grand pays musulman du monde (85 % de ses 210 millions d'habitants professent l'islam), l'Indonésie vit une étrange expérience. Alors même que s'y réinstallent un pluripartisme et une liberté de la presse abolis par les gouvernements autoritaires qui se sont succédé depuis le début des années 1960, les théâtres de violence et de cruauté ne cessent de s'y multiplier. Pogromes anti-chinois à Java en 1998 ; conflits " inter-religieux " aux îles Moluques (Ambon) en 1999 et 2000 ; massacres de civils par des milices anti-indépendantistes au Timor Est fin 1999 ; affrontements " inter-communautaires " entre colons javanais et Dayaks dans l'ouest de Kalimantan (Bornéo) ; reprise de vastes opérations anti-séparatistes à Aceh (nord de Sumatra) depuis le printemps 2003 ; assassinats de militants nationalistes en Papouasie occidentale... La liste des avanies de la " merveilleuse transition " indonésienne est longue. Voilà qui incite à scruter en détail la situation politique de l'archipel. Et cela, d'autant plus que la récente élection à la tête de l'État de dirigeants qui se réclament d'un nationalisme intransigeant augure d'une possible restauration autoritaire : une restauration qui se produirait non pas par la voie d'un coup d'État, mais, …
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