Isabelle Lasserre et Grégory Rayko - En novembre dernier, George W. Bush a été réélu président des États-Unis. En matière de politique étrangère, pensez-vous que Bush II différera sensiblement de Bush I ?
Hubert Védrine - Parler de Bush II est peut-être trop optimiste. En tout cas, c'est prématuré. Il ne faut pas raisonner à partir de nos espérances, mais en fonction de l'Amérique réelle : Bush a été si confortablement réélu qu'il peut à bon droit se sentir légitimé. Bien sûr, il peut juger utile de faire évoluer sa politique étrangère en fonction de ses besoins. Mais pourquoi la changerait-il substantiellement ? L'élection présidentielle a démontré que Bush n'était pas une parenthèse. Tous ceux qui avaient espéré que son élection en 2000 apparaîtrait, avec le recul, comme un simple " accident " doivent se rendre à l'évidence : jamais un président américain n'a obtenu autant de voix ! Qu'on le veuille ou non, tout ce qui heurtait les Européens a été approuvé. C'est indéniable : ce sont des éléments que les Européens n'avaient pas voulu voir, des éléments qui étaient dans l'angle mort de leur analyse, qui caractérisent l'Amérique d'aujourd'hui. En fait, l'émergence de cette autre Amérique était perceptible bien avant le 11 septembre 2001. Et même dans l'hypothèse d'une élection de John Kerry, cette vague de fond nationaliste, sécuritaire et souverainiste aurait perduré. I. L. et G. R. - Comment interprétez-vous la nomination de Condoleezza Rice au Département d'État ?
H. V. - Comme une clarification qui n'annonce certainement pas un infléchissement de la politique étrangère américaine. On ne nomme pas Rice pour faire une diplomatie à l'européenne ! Faut-il regretter Colin Powell ? Il aura été un secrétaire d'État raisonnable et de bonne volonté, proche des Européens, aimé à proportion inverse du rejet qu'inspirait la politique du président. Mais il n'a jamais vraiment réussi à s'imposer ni à convaincre Bush de suivre ses avis. Avec Rice, au moins, on sait exactement à quoi s'attendre. Elle partage entièrement la vision du président. Quand elle parlera, on pourra être certain que c'est George W. Bush qui s'exprimera par sa voix. Il est évident que la nouvelle secrétaire d'État défendra fermement les intérêts des États-Unis ; et elle n'hésitera pas à imposer leurs vues au reste de la planète. Nous voilà prévenus.
I. L. et G. R. - George W. Bush et son équipe sont voués aux gémonies dans tout le monde arabo-musulman. Faut-il y voir une montée de l'anti-américanisme ? Ou bien s'agit-il d'un ressentiment dirigé avant tout contre la personne du président ?
H. V. - La seconde hypothèse est la bonne. Il faut distinguer l'anti-américanisme de l'anti-bushisme. Partout dans le monde, il existe un certain degré d'allergie à l'hégémonie américaine. Cette irritation est très variable selon l'histoire particulière de chaque région. Dans l'univers arabo-musulman, c'est la question palestinienne qui constitue, depuis longtemps déjà, le principal abcès de fixation. Il s'agit d'ailleurs de la seule véritable pomme de discorde car, hormis cette question, les Arabes n'ont aucune raison …
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