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Biélorussie : un laboratoire pour le Kremlin

Georges Mamoulia -La Biélorussie vit depuis des années sous le joug du pouvoir autoritaire d'Alexandre Loukachenko. Pensez-vous qu'un scénario semblable à la récente " révolution orange " ukrainienne, qui a jeté bas le régime de Léonid Koutchma, puisse se réaliser en Biélorussie ? Comment la révolution orange a-t-elle été perçue par l'opposition biélorusse ?
Alexandre Potoupa - Bien entendu, la révolution orange - de même que la révolution de la rose géorgienne - a grandement inspiré l'opposition biélorusse et inquiété le président. L'Ukraine est un voisin immédiat de la Biélorussie : selon l'expression consacrée, le coup est passé tout près ! D'un autre côté, un élément essentiel a fait beaucoup parler à Minsk : la Russie a complètement échoué dans sa tentative visant à promouvoir la candidature du premier ministre ukrainien sortant, Viktor Ianoukovitch. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, cet échec a rasséréné le clan au pouvoir. En effet, les relations entre Loukachenko et le Kremlin ne sont pas au beau fixe : voilà des années que notre président redoute que Moscou essaie de procéder à son remplacement ! Quant à l'opposition, si elle s'est réjouie de voir qu'une mobilisation populaire de grande ampleur pouvait avoir raison d'un régime corrompu, elle a également compris que la Russie ne faisait plus la loi dans la région et que, dans le cas où le " grand frère " se déciderait à soutenir un changement de régime en Biélorussie, il n'était pas du tout certain de réussir...
G. M. - Quel regard l'opposition biélorusse porte-t-elle sur la nouvelle équipe au pouvoir à Kiev ?
A. P. - Un regard assez sceptique. Il est généralement admis que cette révolution était, au fond, une collision entre deux clans industriels et financiers. Il est évident que le clan qui a remporté la victoire va dorénavant procéder à une redistribution des ressources ukrainiennes en faveur de ses soutiens. Mais saura-t-il réellement démocratiser l'Ukraine et l'orienter vers l'Union européenne ? C'est moins sûr. En d'autres termes, notre opposition se montre assez dubitative au sujet des nouvelles autorités ukrainiennes. Il n'en reste pas moins qu'elle a été fascinée par la volonté de la population de renverser l'ancien régime. Et qu'elle rêve d'un scénario analogue... D'ailleurs, elle a déjà trouvé la couleur que portera sa révolution : ce sera la révolution des bleuets ! Mais il faut bien avouer que, jusqu'à présent, c'est bien le seul effet de la révolution orange sur la Biélorussie... Le grand problème, dans notre pays, c'est que nous avons au moins dix candidats potentiels de l'opposition pour l'élection présidentielle de 2006. Réussiront-ils à s'accorder sur un seul candidat ? Il est permis d'en douter. Il faudrait mettre en place un mécanisme qui rassemblerait ce groupe divisé et l'amènerait à soutenir un Iouchtchenko biélorusse...
G. M. - L'union de l'opposition autour d'un seul personnage suffirait-elle à susciter une évolution à l'ukrainienne ?
A. P. - J'en doute fort. Où trouver l'électorat qui permettrait à l'opposition d'obtenir aux alentours de 50 % des voix ? …