Chine : une apocalypse hydraulique

n° 107 - Printemps 2005

L'explosion démographique des années 1950 ; la rénovation par le Parti communiste chinois de l'idéologie légiste qui présida à la naissance de l'empire ; et les moyens technologiques modernes au service de cette pensée, associés au réchauffement global de la planète : tous ces éléments ont fait prendre à cette catastrophe, depuis quinze ans, un tour exponentiel. À court terme, la Chine se trouvera dans une situation hydrologique intenable dont les conséquences humaines, sociales et économiques sont incalculables.
Une idéologie qui n'a cure de l'environnement
Un modèle ancien...
La République populaire de Chine a pris modèle sur les premiers empires légistes, auxquels elle emprunte ses principaux axiomes idéologiques. Aujourd'hui comme il y a deux millénaires, le mot d'ordre est d'" enrichir l'État et renforcer l'armée " (fuguo qiangbing). Le système politique est centralisé et autocratique. Sa mise en place s'est accompagnée, dans l'Antiquité comme à l'époque contemporaine, de l'éradication de la culture et de la société civile traditionnelles, de déportations massives de populations, de campagnes d'annexion... et de gigantesques travaux d'infrastructures hydrauliques. La catastrophe hydrologique à l'œuvre actuellement semble faire écho à celle qui prit forme lorsque ce modèle d'État donna pour la première fois sa mesure, il y a plus de deux mille ans, au centre et sur le pourtour du plateau des Ordos, dans le nord de la boucle du fleuve Jaune.
C'est au IVe siècle av. J.-C., sous l'impulsion des penseurs et hommes d'État légistes, que le royaume de Qin, au creux de la grande boucle du fleuve Jaune, entreprit de convertir marais et prairies - jusqu'alors dévolus aux pâturages et à la chasse - en terrains agricoles. Il s'agissait ainsi, conformément à la doctrine du fuguo qiangbing, de faire fructifier le " cheptel démographique " et d'augmenter la production céréalière en sédentarisant par la coercition les populations semi-nomades qui vivaient à l'extérieur des cités. Les surplus démographiques et céréaliers ainsi dégagés furent à leur tour utilisés pour constituer une puissante infanterie qui pratiquait la guerre à outrance et permit au royaume de Qin de soumettre d'autres populations et d'autres cités.
Cette idéologie porta ses fruits à la fin du siècle suivant, lorsque le roi Yin Zhen de Qin annexa les différents royaumes au nord du Yangtsé et installa des têtes de pont sur les pourtours côtiers du sous-continent. Ainsi naquit le premier empire chinois qui se substitua à une pluralité de royaumes morcelés en de nombreux fiefs où le pouvoir s'exerçait de façon collégiale et où la guerre se pratiquait selon les antiques règles courtoises.
Sa dynastie ne survécut pas à ce tyran - devenu, depuis cinquante ans, le parangon du nationalisme chinois - mais la restauration Han qui lui succéda paracheva son œuvre et poursuivit pendant 350 ans la colonisation du sud de ce qui est devenu la Mongolie intérieure. Pendant le seul règne de l'empereur Wu (157-87 av. J.-C.), ce sont deux millions de colons, soldats, paysans, défricheurs et irrigateurs, leurs familles ainsi que de nombreux forçats qui y furent déportés. Quant aux pasteurs …