Isabelle Lasserre - Monsieur le Ministre, que se passera-t-il si le non l'emporte au référendum ?
Michel Barnier - Si un pays parmi les Vingt-Cinq refuse la Constitution, il n'y aura plus de Constitution. C'est aussi simple que cela. Que se passera-t-il ? Nous travaillerons avec les traités, ceux de Nice et d'Amsterdam, dont tout le monde sait qu'ils sont insuffisants. Ces traités ont été utiles dans le court terme mais ils ne fonctionnent pas sur le long terme. Le risque du non, c'est donc une Europe qui s'embourbe, tombe en panne. Or, les gens de bonne foi en conviennent, la Constitution apporte des progrès sur tous les sujets. Pas autant que je l'aurais parfois souhaité, car cette Constitution n'est pas idéale ; mais il n'y a pas une disposition dans ce texte qui soit en recul par rapport aux traités existants, qu'il s'agisse de la démocratie, du social, de la sécurité ou de la politique étrangère. Sans Constitution, on garde l'Europe, mais avec ses insuffisances, ses faiblesses, ses problèmes. Ce serait grave, car nous sommes dans un monde où personne ne nous attend. Ce que nous ne ferons pas, nous les Européens, pour l'Europe, personne ne le fera à notre place. I. L. - Si vous pouviez refaire l'Histoire, qu'aimeriez-vous changer dans l'Union européenne et quelles sont les choses que vous avez le pouvoir de changer aujourd'hui ?
M. B. - Si la politique signifie que l'on fabrique du progrès, de la paix et de la stabilité plutôt que d'entretenir des guerres entre les peuples, alors le projet européen est le plus valorisant des projets politiques. Le fait qu'il ait tenu ses promesses de paix et de stabilité depuis cinquante ans prouve, rétrospectivement, qu'il n'y a pas grand-chose à y changer. Jean Monnet et Robert Schuman ont eu la bonne intuition : obliger les États à se respecter, à partir d'une vision politique, en faisant en sorte qu'ils aient un vrai intérêt à être ensemble. Il a été judicieux de construire ce projet progressivement, étape par étape, " pas à pas ", car personne n'était prêt à une sorte de " big bang " fédéral. Pas plus aujourd'hui qu'hier. Le projet européen est aussi un projet unique. Nulle part ailleurs dans le monde, et jamais dans l'Histoire, nous n'avons vu des nations mutualiser leurs énergies, leurs ressources, leurs politiques, sans pour autant fusionner ni s'effacer. Les choses ont été bien faites. Aujourd'hui, je voudrais voir des inflexions s'imposer vers une dimension plus culturelle, plus humaine et, surtout, plus politique de l'Union européenne.
I. L. - Quelle marque voudriez-vous laisser aux Affaires étrangères ?
M. B. - Sur le plan de l'organisation de ce ministère, j'aimerais réaliser le regroupement de tous les services au sein d'un site unique. Sur le fond, je voudrais que nos diplomates acquièrent davantage le réflexe européen. Que notre diplomatie vive avec son temps, celui de l'Europe. Et que, loin de contraindre ou d'imposer, nous agissions en entraînant, en convainquant et en nous respectant. C'est là …
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