Pascal Drouhaud - Combattante inlassable pour la défense des droits de l'homme et la dignité des Indiens du Guatemala, vous avez été récompensée, en 1992, par le prix Nobel de la paix. Depuis lors, votre message porte bien au-delà de votre pays. C'est précisément par le Guatemala que j'aimerais commencer notre entretien. Depuis le début de l'année 2004, vous êtes " ambassadeur pour les accords de paix " auprès du président Oscar Berger. Dix ans après la signature de ces accords, pourquoi fallait-il encore donner une impulsion politique au suivi de leur application ?
Rigoberta Menchu - Le but est de rétablir le dialogue entre tous les secteurs de la société qui participent à la construction d'un nouvel État au Guatemala. La Minugua (les forces de l'ONU) a contribué à ancrer la paix. Il nous faut aujourd'hui rendre sa crédibilité au processus de paix et faire en sorte qu'il débouche sur des réformes concrètes. J'ai bon espoir de voir ce mécanisme s'engager.
P. D. - Quelle part de responsabilité le général Rios Montt (1) et l'ancien président Portillo portent-ils dans ce retard ?
R. M. - Avec le gouvernement Portillo, le Guatemala a fait un bond en arrière de plusieurs années. Des groupes armés et privés sont réapparus. Les plus corrompus sont revenus au pouvoir et ont noué des relations avec les trafiquants de drogue. Nous étions en passe de devenir un narco-État.
P. D. - La réconciliation nationale ne doit pas conduire à l'oubli. Vous avez d'ailleurs vous-même introduit plusieurs actions en justice contre l'ancien dictateur Rios Montt. Peut-on pardonner quand on a autant souffert de la violence politique ?
R. M. - J'ai beaucoup de mal à aborder le thème du pardon en termes généraux. C'est pour moi une affaire très intime. Je suis, en effet, la seule à pouvoir me représenter la manière dont ma mère et mes frères ont été torturés. J'aimerais tellement parvenir à chasser la rancœur de mon âme... Selon la " Commission d'éclaircissements historiques ", la guerre a fait au Guatemala 250 000 victimes dont 50 000 disparus. Cette guerre a été le fruit d'une stratégie délibérée, non seulement de la part des États-Unis mais aussi de certaines entreprises privées qui y avaient intérêt.
P. D. - Pourquoi est-il si difficile, au Guatemala, de surmonter l'épreuve de la guerre ?
R. M. - L'explication tient en un mot : le racisme. Au Guatemala, c'est un fait culturel. Ce racisme structurel empêche les partis politiques de s'ouvrir à une autre perception de la réalité. Le président Berger a tout fait pour intégrer les peuples indigènes à son projet de gouvernement. Mais lorsqu'un ministre doit recruter un collaborateur, il ne choisira jamais un Indien car il le considérera par définition comme un incapable. Le gouvernement a beau multiplier les déclarations généreuses, vous ne verrez pas un seul Indien dans les cabinets ministériels ou l'administration. Au Congrès, il y a trois élus d'origine indigène sur un total de 158 députés. Rendez-vous compte : seuls 5 % …
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