La présence du président russe à cette réunion était en elle-même un événement exceptionnel. C'était, tout simplement, la première fois que le chef d'une grande puissance européenne était convié à participer aux travaux de ce forum musulman international. Vladimir Poutine ne laissa pas passer l'occasion : jamais, auparavant, un dirigeant russe n'avait aussi franchement tendu la main à la communauté islamique mondiale.
Interprétée comme une preuve de pragmatisme par les uns, comme une action médiatique soigneusement calculée par les autres, cette visite fut généralement considérée par les médias occidentaux comme une nouvelle extravagance du résident du Kremlin. Pour la majorité des observateurs, une chose était sûre : il serait incompatible de poursuivre la guerre contre les Tchétchènes tout en ouvrant la Russie sur le monde musulman. Et, comme il était très peu probable que Poutine lâche du lest sur la question de la petite république frondeuse, son discours de Putradjaya ne fut pas réellement pris au sérieux.
Rares étaient ceux qui avaient compris qu'il s'agissait là, pour la Russie, d'un virage stratégique de tout premier ordre. Qui, en effet, aurait pu penser qu'un homme comme Vladimir Poutine, souvent voué aux gémonies par les musulmans de la planète entière pour sa brutalité dans l'affaire tchétchène, pouvait orienter son pays vers une alliance avec l'aire islamique ? Pourtant, on aurait tort de voir en Poutine un anti-musulman primaire. Avant même son allocution devant les membres de l'OCI, le président avait rompu avec la vision de l'islam professée par ses prédécesseurs au Kremlin : alors que ceux-ci toisaient généralement les disciples de Mahomet avec suspicion et hostilité, Poutine, lui, a souhaité s'appuyer sur la communauté musulmane russe et tisser des liens forts avec les pays musulmans, tout en combattant sans relâche l'islamisme fondamentaliste.
Il convient de rappeler que, au temps de l'URSS comme sous la présidence de Boris Eltsine (1991-1999), les musulmans ont été systématiquement sous-représentés au sommet du pouvoir et de l'armée. Cet ostracisme était dû, en grande partie, à la méfiance traditionnelle des autorités de Moscou à l'égard du monde musulman. Aux yeux du Kremlin, l'islam a toujours été perçu avant tout comme une idéologie dangereuse dont il fallait circonscrire l'influence. L'invasion de l'Afghanistan par l'Armée rouge (1979), le soutien de Leonid Brejnev à Saddam Hussein lors de la guerre Iran-Irak (1980-1988), les affrontements entre les troupes russes et les islamistes du Tadjikistan (1992-1996), les deux guerres de Tchétchénie (1994-1996 et 2000-2004), ainsi que le soutien accordé par Moscou aux Américains dans leur lutte contre le régime des Talibans en place à Kaboul (automne 2001) procèdent tous, à divers degrés, de cette volonté d'endiguement.
Mais en mars 2000, le président Poutine rompt avec la politique d'endiguement actif de l'islam conduite par ses prédécesseurs. D'abord, il entame un dialogue constructif avec la minorité musulmane de Russie en prenant soin de toujours dissocier l'islam " traditionnel " de l'islamisme. Ensuite, il renforce les liens de la Russie avec plusieurs pays musulmans, y compris le régime wahhabite de Riyad. Enfin, il propose, dans le …
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