Le " troisième échiquier "
Au début des années 1990, James Rosenau, l'un des penseurs les plus marquants de ce courant, développe l'idée qu'avec la mondialisation et la " transnationalisation " nous sommes entrés dans une ère de " turbulences " mondiales (3). L'État ne disparaît pas, mais il n'a plus les mains libres et ne contrôle plus les événements. Pour lui, le système interétatique ne constitue plus le pivot central de la vie internationale. Il coexiste avec un système " multicentré ", les acteurs non étatiques devenant les déterminants principaux de la politique étrangère. Le sentiment de soumission et de loyauté des individus et des groupes à l'égard des autorités étatiques faiblit, alors que leur capacité à s'émouvoir pour un drame lointain s'accroît. Les compétences effectives des gouvernements nationaux se sont érodées avec la prolifération des groupes transnationaux. Une véritable " bifurcation " s'est opérée entre le " monde des États " et le " monde multicentré ", chacun d'eux obéissant à des principes contradictoires : alors que le premier continue à être animé par des motivations classiques d'appétit de puissance et de sauvegarde de sa souveraineté, la recherche de l'autonomie prime pour le second.
Cette vision de l'État se retrouve également chez l'économiste britannique Susan Strange qui s'est particulièrement intéressée à la montée en puissance des grandes entreprises multinationales et des marchés financiers libres. " Alors que les États étaient autrefois les maîtres du marché, ce sont maintenant les marchés qui, sur ces questions cruciales, sont les maîtres des gouvernements et des États ", écrit-elle (4). Les acteurs traditionnels, diplomates et généraux, lui apparaissent moins décisifs que les banquiers, les hommes d'affaires et les médias (5). En France, l'un des auteurs les plus représentatifs de cette école de pensée, Bertrand Badie, se réjouit, quant à lui, de la " revanche de la société civile " sur l'État, ce dernier lui apparaissant comme de plus en plus " défié par les acteurs primordialistes subnationaux (clans, ethnies, tribus, minorités qui s'érigent en "peuples") ou transnationaux (mouvements pan-religieux ou pan-linguistiques) " (6). Il reprend l'idée selon laquelle " le monde "multicentré" marque le triomphe du principe d'autonomie " (7). " Face au monde des États qui demeure, avec ses principes traditionnels et les pratiques qui lui sont propres, se constitue un autre monde comptant infiniment d'acteurs cherchant d'abord à protéger et à promouvoir leur autonomie, jouant davantage de la coopération (ou du refus de coopération) que de la force, et échappant aux normes traditionnelles de la diplomatie " (8).
Le principe de territorialité ne constitue plus qu'un " cadre d'allégeance dépassé ", note quant à elle Josépha Laroche (9). L'État est " mis en échec " jusque dans ses fonctions sécuritaires les plus traditionnelles par des réseaux terroristes ou par des mafias, " défié dans son monopole de la violence physique légitime, mais aussi dans son aptitude à préserver et à contrôler la valeur des richesses nationales " (10). La prolifération de menaces infra-étatiques, telles que le terrorisme ou le trafic …
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