Les gagnants des élections du 30 janvier 2005 en Irak - les chiites et les Kurdes - parviendront-ils à transformer leur victoire électorale en conquête du pouvoir ? Mais quel lieu de pouvoir y a-t-il au juste à investir en Irak ? On le sait, la chute de Saddam Hussein en avril 2003 n'a pas seulement été celle d'un régime. Ce fut aussi la fin d'une institution : l'État irakien. Celui-ci avait été créé par la Grande-Bretagne au lendemain de la répression de la révolution de 1920. Rappelons que ce soulèvement avait uni les chiites et certains sunnites dans leur refus du mandat britannique. Aujourd'hui, il n'y a plus d'État en Irak et c'est donc bien à la construction d'un nouvel État que les vainqueurs des élections sont conviés. La seconde donnée essentielle est, évidemment, l'occupation étrangère. L'autorité suprême demeure entre les mains des chefs de la Coalition menée par les États-Unis, et l'on imagine mal Washington accepter de remettre le pouvoir à des forces hostiles - ou même, tout simplement, à un gouvernement d'abord soucieux des intérêts de l'Irak, lesquels ne coïncident pas nécessairement avec ceux de l'Amérique.
Chiites et Kurdes irakiens : une victoire à la Pyrrhus
Revenons sur ce qui s'est passé le 30 janvier 2005. Certes, les élections sont un passage obligé vers la démocratie, mais elles ne sont pas suffisantes. Au lieu d'ouvrir un espace public, ce scrutin en a au contraire légitimé la fermeture, et pour longtemps, hypothéquant ainsi une reconstruction acceptée par tous. En effet, ces élections sont la consécration d'un processus entamé à l'initiative des Américains, le 13 juillet 2003, lorsqu'ils nommèrent le premier gouvernement provisoire. Les postes y étaient distribués non pas en fonction des idées politiques ou des compétences de chacun, mais selon le seul critère de l'appartenance communautaire. Déjà, on trouvait ces quotas infernaux : 60 % de chiites, 20 % de Kurdes, 20 % d'Arabes sunnites. Comment un tel système, dont les Libanais cherchent à se débarrasser et qu'ils rendent responsable des quinze années de guerre civile qu'a connues leur pays, pourrait-il avoir des vertus insoupçonnées sur les rives du Tigre et de l'Euphrate ? Il est vrai que les chefs de la Coalition n'avaient guère d'autre choix. Le fait qu'il existe en Irak une autorité suprême qui n'est pas irakienne condamne chaque acteur politique à négocier avec celle-ci sur la base d'intérêts communautaires, plutôt que de s'engager dans la recherche d'un consensus avec les autres Irakiens dans le cadre d'un projet national.
En 2005, comme en 1920, le corollaire de l'occupation étrangère en Irak est le communautarisme. Les Britanniques avaient misé sur les élites issues de la minorité arabe sunnite, excluant dès le départ les chiites, puis à partir de 1925, les Kurdes. En 2005, on prend les victimes d'hier et on recommence, si l'on peut dire. Les Américains s'adressent aux exclus du système précédent fondé par les Britanniques. Le vice d'un tel procédé, c'est que, la puissance occupante ne pouvant satisfaire des revendications contradictoires, il fabrique …
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