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BACHAR ET LES SIENS

Jean-Pierre Perrin - Avec la Déclaration de Damas, l'opposition syrienne, que l'on disait faible et très divisée, s'est rassemblée pour lancer un défi au régime de Bachar el-Assad. Combien de courants comprend-elle ?
Haytham Manna - On distingue trois grands courants : le courant démocratique laïque ; le courant islamiste présent à l'intérieur et à l'extérieur de la Syrie (essentiellement les Frères musulmans) ; et la coalition des partis kurdes. À eux trois, ils ne doivent pas représenter en Syrie plus de 10 000 adhérents, ce qui n'est pas surprenant dans le contexte d'une dictature. Ce chiffre ne prend pas en compte tous ceux qui n'osent pas se déclarer, leurs sympathisants, les intellectuels qui leur sont proches... Les partis kurdes sont ceux qui totalisent le plus d'adhérents. Le premier courant regroupe le Rassemblement national démocratique, qui lui-même fédère cinq partis interdits (le Parti démocratique du peuple, c'est-à-dire l'ancien Parti communiste syrien, le Parti de l'union socialiste démocratique arabe, le Parti des travailleurs révolutionnaires, les Socialistes arabes et le parti Baas socialiste démocratique arabe), les Comités de la société civile et le Parti d'action communiste. Cette mouvance est la seule qui soit capable de réunir tous ensemble des laïcs, les islamistes et les Kurdes. C'est pourquoi les autres courants ont besoin d'elle, y compris les Frères musulmans et les partis kurdes qui, pourtant, recrutent massivement dans leurs milieux respectifs.
J.-P. P. - Quel est le poids du deuxième courant, celui des islamistes ?
H. M. - Il est très dispersé. En Syrie, il n'est pas représenté par un leader national. Cela dit, il est très actif, beaucoup plus que les Frères musulmans qui vivent à l'extérieur du pays et se trouvent, par conséquent, éloignés des préoccupations de la population. Récemment, un jeune Syrien me confiait : " Je ne suis pas prêt à mourir pour un parti que je ne connais pas. " Parmi les groupes islamistes les plus connus, on peut citer celui du dirigeant al-Attar, à Damas, et celui de Jaoud al-Saïd, dans la banlieue de Damas. Tous deux sont d'ailleurs signataires de la Déclaration de Damas. Ce qui est important, c'est que ces groupes islamistes sont en rupture avec les Frères musulmans : ils ne croient pas qu'un État islamiste ait un avenir en Syrie et lui préfèrent un modèle parlementaire. Sur les huit mouvances islamistes que l'on trouve à l'intérieur du pays, au moins trois sont influencées par le courant islamiste turc. Le seul parti " de l'intérieur " à prôner un État islamique est le Hezb al-Tahrir (le Parti de la libération). C'est une organisation clandestine de type léniniste, plus radicale que les Frères musulmans, dont l'audience est encore plus confidentielle, mais qui n'accepte pas pour autant le principe de l'action violente pour parvenir à ses fins. D'une manière générale, en Syrie, on rencontre très peu de partisans d'un régime islamiste basé sur la charia. Le slogan " Syrie-État islamiste " ne passe pas.
J.-P. P. - On avait pourtant le sentiment que les Frères musulmans …