EUROPE/ÉTATS-UNIS : UNE AMITIÉ SI FRAGILE...

n° 110 - Hiver 2006

Convergences et compromis
Le signal du rapprochement a été donné, dès la réélection de George Bush, par la visite triomphale de Condoleezza Rice à Paris, suivie par la tournée européenne du président lui-même. Le changement de langage correspondait, certes, à une offensive de charme délibérée visant à amadouer l'Europe et l'Otan. Mais il exprimait aussi une évolution réelle qui s'est confirmée depuis lors. Cette évolution semble due, en grande partie, à l'influence de Condoleezza Rice, qui a su imposer son autorité et celle du Département d'État à l'intérieur de l'administration Bush et retrouver les chemins de la diplomatie. D'où un assouplissement de la position américaine sur certains dossiers sensibles : soutien plus net aux négociations des trois puissances européennes (France, Allemagne et Royaume-Uni) avec l'Iran (en échange d'une promesse de soutien européen pour un recours à l'ONU en cas d'échec) ; abandon de la campagne contre la reconduction de Mohammed El Baradei à la tête de l'AIEA ; acceptation de la saisine de la Cour pénale internationale, bête noire des États-Unis, dans le cas du Darfour, etc. Au sommet de Gleneagles, organisé en juillet 2005 par Tony Blair, Washington a même concédé des avancées timides sur le terrain de l'aide à l'Afrique et autres thèmes chers aux Européens.
Dans la rhétorique combative (et universaliste) de George Bush, notamment dans son discours sur l'état de l'Union, le thème positif de la démocratie, prenant le pas sur celui, négatif, de la guerre contre l'" axe du Mal ", était mieux accepté par les alliés. D'autant que les élections du 30 janvier en Irak et les frémissements réformateurs perceptibles en Égypte, en Arabie saoudite et dans les pays du Golfe ont paru le légitimer. Aussi a-t-on vu la France et les États-Unis agir de concert pour exiger, dès juillet 2004, par la résolution 1559, le retrait syrien du Liban et soutenir le printemps de Beyrouth après l'assassinat de l'ex-premier ministre Hariri.
Globalement, sur les grands foyers de crise du Moyen-Orient, les positions américaine et européenne ont connu un mélange de confirmation et de démenti qui, logiquement, devrait permettre aux deux parties de travailler ensemble sans qu'aucune ne perde la face.
S'agissant de l'Irak - objet de la grande querelle du début 2003 -, la plupart des Américains sont désormais convaincus que la critique européenne était fondée : les États-Unis se trouvent aux prises avec les mêmes dilemmes que ceux qu'ils ont connus au Vietnam et que la France a affrontés en Algérie (priorité à la destruction des insurgés ou à la conquête des esprits et des cœurs ; renforcement des troupes ou retrait ; difficultés de l'irakisation répétant celles de la vietnamisation, etc.). Finalement, la guerre a plus aggravé le terrorisme qu'elle ne l'a diminué.
En même temps, seule une minorité d'Européens, comme une minorité d'Américains, souhaite un retrait immédiat, et encore moins une défaite des États-Unis. Al-Qaida qui, au départ, n'était pas présente en Irak, y a prospéré au point d'y avoir établi l'un de ses principaux centres d'activité. La distinction entre …