C'est une véritable lame de fond : au cours de ces dernières années, plusieurs anciennes républiques soviétiques, dirigées depuis la chute de l'URSS en 1991 par des leaders autocratiques, ont été submergées par des " révolutions de velours ". En Géorgie et en Ukraine, les peuples ont démocratiquement renversé les pouvoirs d'Édouard Chevardnadze et de Léonid Koutchma, respectivement en 2003 et en 2004 ; le Kirghizistan a connu, en février 2005, une pacifique " révolution des tulipes " (1). À l'automne de cette même année, des protestations populaires ont explosé en Azerbaïdjan contre le président Ilham Aliev, sans parvenir, il est vrai, à forcer le maître de Bakou à se retirer.
Il s'agit, sans aucun doute, d'un processus positif pour les États-Unis et l'Europe, qui ne peuvent que se réjouir de la propagation de la démocratie dans l'espace postsoviétique. C'est pourquoi les premiers commentaires occidentaux débordèrent d'optimisme quand, le 13 mai 2005, une foule de manifestants hostiles au pouvoir s'est massée sur la place centrale de la ville d'Andijan, en Ouzbékistan. Ce pays dirigé d'une main de fer depuis quinze ans par le très autoritaire Islam Karimov était-il, enfin, en train de bouger ? Ce régime, qui avait longtemps paru inébranlable, était-il sur le point de s'effondrer ? Mais à la différence de ses homologues géorgien, ukrainien et kirghiz, l'homme fort de Tachkent n'a pas hésité à réagir par la force. La condamnation sévère du bain de sang d'Andijan par les États-Unis et l'Europe a ensuite incité l'Ouzbékistan, l'une des deux puissances régionales d'Asie centrale avec l'immense Kazakhstan, à prendre ses distances avec l'Occident et à se rapprocher de Moscou et de Pékin. Résultat : la donne en Asie centrale a complètement changé. Depuis l'automne 2001, les Américains étaient solidement implantés en Ouzbékistan (dans le cadre de leur opération contre l'Afghanistan voisin) ; mais après Andijan et la passe d'armes diplomatique qui s'ensuivit, Karimov a exigé le démantèlement de leur base militaire de Karchi-Khanabad, qui finit par avoir lieu en novembre 2005. Ce pays, qui était l'un des postes avancés de l'Occident dans la région, glisse donc rapidement vers une alliance d'autocrates avec la Chine et la Russie. Un événement d'une portée considérable, étant donné l'importance stratégique de l'Ouzbékistan.
Mais la réaction des Occidentaux aux événements d'Andijan a-t-elle été justifiée ? A-t-on vraiment assisté, ce jour-là, à ce " massacre d'une foule pacifique " que les Américains et les Européens ont dénoncé avec virulence ? Quelques mois après les faits, il est possible d'y voir plus clair dans cet épisode tragique et de souligner les conséquences géopolitiques de la brouille entre Tachkent et les chancelleries de l'Ouest.
Andijan : une " révolution de velours " en trompe l'œil
Le 13 mars 2005, l'euphorie médiatique suscitée par la manifestation d'Andijan ne dura que quelques heures. À peine les manifestants avaient-ils eu le temps de réclamer la médiation de Moscou - qui refusa de s'ingérer - que deux chars d'assaut s'introduisirent dans la ville et ouvrirent le feu sur la foule.
L'intervention …
Ce site est en accès libre. Pour lire la suite, il vous suffit de vous inscrire.
J'ai déjà un compte
M'inscrire
Celui-ci sera votre espace privilégié où vous pourrez consulter à tout moment :
- Historiques de commandes
- Liens vers les revues, articles ou entretiens achetés
- Informations personnelles