Le 10 mai 2005, à Moscou, lors du sommet Russie-Union européenne, Vladimir Poutine signait avec José Manuel Barroso et Jean-Claude Juncker, alors président en exercice de l'UE, un accord de coopération intitulé les " feuilles de route " (1). Ce texte comportait quatre volets : le secteur économique ; les questions de liberté, de sécurité interne et de justice ; la sécurité extérieure ; le domaine des sciences, de l'éducation et de la culture. Peut-être grisé par l'atmosphère de liesse qui planait sur la ville en ce lendemain de commémoration du soixantième anniversaire de la victoire de l'Union soviétique sur l'Allemagne nazie, Vladimir Poutine a alors caractérisé les relations entre la Russie et l'UE de " partenariat stratégique " ; les Européens, quant à eux, se sont montrés plus mesurés mais ont également reconnu le caractère positif du sommet.
Il est vrai que les deux parties avaient de bonnes raisons de se montrer satisfaites : depuis 1994 elles n'avaient signé aucun accord significatif et, quelques mois plus tôt, en novembre 2004, le sommet de La Haye s'était achevé sur le constat d'une évidente incompréhension entre Bruxelles et Moscou. Mais les événements qui ont succédé à l'adoption des " feuilles de route " ont montré qu'en réalité peu de chose avait changé dans les relations UE-Russie. Dès les premières négociations, au printemps 2005, du ministre russe de l'Économie, German Gref, avec le commissaire européen au Commerce, Peter Mandelson, des dissensions sont apparues. La Russie a adopté une ligne dure : elle a choisi d'ignorer le problème de la réadmission (l'engagement de rapatrier à ses frais les migrants russes illégaux parvenus sur le sol de l'UE ainsi que les migrants illégaux
ressortissants de pays tiers ayant transité par le territoire russe) ; elle a refusé de ratifier un accord définitif sur sa frontière avec la Lettonie, qu'elle soupçonne de prétendre à une partie du territoire anciennement letton qui a été rattaché à la Russie en 1944 ; et, enfin, elle a repoussé à une date indéterminée, et sans fournir d'explication, la rencontre prévue fin juin-début juillet, et finalement jamais tenue, entre le premier ministre Mikhaïl Fradkov et les dirigeants de l'Union européenne.
Malgré ces atermoiements, Moscou et Bruxelles affirment que leur dialogue politique est aussi dynamique que leur coopération économique. La réalité est tout autre : alors que les relations économiques ont des effets concrets tant sur la Russie que sur l'UE, les contacts politiques, eux, ne rapprochent guère le système russe des standards européens et ne réduisent nullement le risque de voir la Russie s'éloigner de l'Europe du point de vue " civilisationnel ". Or le péril majeur est là.
L'économie, fondement des relations Russie-UE
Un commerce très actif
Vu de Moscou, l'état des relations économiques de la Russie avec l'Europe ne peut que susciter la plus grande satisfaction. La période de croissance russe qui a débuté en 1999 s'est traduite par la multiplication des échanges avec l'Europe. Les exportations vers les pays de l'UE ont bondi de 23,2 milliards de dollars en 1998 à 104 milliards en 2004 ; et les importations en provenance d'Europe sont passées de 43,6 à 71,5 milliards de dollars. Résultat : l'UE compte aujourd'hui pour 60,1 % des exportations et 49,2 % des importations de la Russie. De plus, l'Union est devenue la première source des investissements étrangers dans l'économie russe. Au début de l'année 2005, huit pays européens - l'Allemagne, la Grande-Bretagne, la France, Chypre, les Pays-Bas, le Luxembourg, la Suède et l'Autriche - fournissaient 74 % des investissements directs étrangers dans la Fédération. Il faut également remarquer que le rapide développement des relations économiques russo-européennes s'est produit dans un contexte de stagnation des échanges avec les États-Unis - qui ne représentent plus aujourd'hui que 4 % du commerce extérieur et des investissements étrangers en Russie.
Mais si le poids de l'UE dans l'économie russe est essentiel, il convient également de ne pas sous-estimer l'importance de la Russie pour l'UE. En effet, Moscou est pour Bruxelles le troisième partenaire à l'importation et le quatrième à l'exportation. La Russie représente 6,3 % des échanges extérieurs de l'UE. Début 2006, ce pourcentage devrait même augmenter avec la hausse des prix du pétrole, du gaz et des autres ressources naturelles (qui constituent 77 % des exportations russes). N'oublions pas qu'aujourd'hui 26 % du gaz et 25 % du pétrole consommés dans l'UE proviennent de Russie.
Pour l'UE, la Russie n'est pas seulement un fournisseur de matières premières. Le marché intérieur russe, qui connaît une croissance des plus fortes depuis quelques années, est devenu particulièrement attractif pour les compagnies européennes dans les secteurs de l'automobile, de la chimie, de la pharmacie et des produits de luxe.
Les investisseurs européens commencent à placer des moyens considérables dans l'économie russe. Plusieurs transactions d'importance ont fait couler beaucoup d'encre, en particulier le rachat par British Petroleum de la compagnie pétrolière de Tioumen (TNK) en janvier 2003 pour la somme de 5,6 milliards d'euros et l'acquisition par la corporation allemande Allianz de 45 % des actions de la société d'assurances Rosno. Michelin, BMW, Danone et Nestlé construisent en Russie leurs propres usines de production et contrôlent déjà des parts importantes du marché dans leurs secteurs respectifs. Danone produit 16 % des produits laitiers consommés en Russie ; quant au marché de la bière, il est largement contrôlé par la société scandinave Baltik Beverage Holding, la hollandaise Efes, la danoise Carlsberg, la britannique SAB et, depuis sa récente acquisition de l'usine de bière Tinkoff, la belge InBev SA. De grandes banques européennes (Raiffeisenbank, ING, ABN Amro, Dresdner Bank, Société générale) font partie des cent plus importantes sociétés financières de Russie, accumulant à …
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