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SYRIE : L'HEURE DE VÉRITÉ

La question de la survie du régime de Bachar el-Assad est désormais au cœur des réflexions diplomatiques des principales capitales occidentales et de toutes celles du Moyen-Orient. Elle se posait déjà en filigrane depuis la penaude débâcle de l'armée syrienne au Liban en avril 2005 - une débâcle qui, privant Damas de sa mainmise de vingt-neuf ans sur le " Pays du cèdre ", condamnait le pouvoir baasiste à une lente asphyxie économique, financière et politique. Elle revient avec une acuité sans précédent depuis la publication, le 21 octobre, du premier rapport d'étape de la commission d'enquête internationale de l'ONU sur l'assassinat de l'ex-premier ministre libanais Rafic Hariri - un rapport qui s'apparente à une véritable machine de guerre lancée contre le jeune président syrien (il est âgé de 40 ans). Surtout si l'on prend en compte la copie confidentielle de ce texte qui va jusqu'à mettre en accusation le premier cercle du régime, c'est-à-dire l'entourage le plus immédiat du chef de l'État. Soumis à d'incessantes pressions américaines, au réveil de son opposition, à de graves déchirures internes qu'a mises en lumière le " suicide " de Ghazi Kanaan - l'ancien proconsul syrien à Beyrouth - , la Syrie est aujourd'hui un pays quasiment en état de siège.
En cinq ans, Bachar el-Assad aura dilapidé les quelque trente années d'efforts accomplis par son père Hafez pour établir un État puissant, stable, bismarckien, sans la participation duquel rien ne pouvait être entrepris sur la scène du Proche-Orient. Pourtant, le pouvoir baasiste se croit encore suffisamment fort pour survivre à la crise, d'autant que Le Caire et Riyad, inquiets d'un scénario à l'irakienne en cas de chute du régime, se sont résolus, bon gré mal gré, à venir à sa rescousse. À partir de la mi-novembre, il a ainsi lancé une série de contre-offensives tous azimuts, qu'il s'agisse de l'attaque menée par son allié libanais (le Hezbollah) sur la frontière israélo-libanaise, de l'assassinat, le 12 décembre, de Gibran Tuéni, le patron du grand quotidien libéral an-Nahar, du retournement de deux témoins clés dans le rapport de la commission d'enquête de l'ONU, de manœuvres d'envergure pour faire chuter le gouvernement de Beyrouth via, là encore, les partis libanais prosyriens (Hezbollah et Amal). Mais, depuis le 30 décembre, le régime de Damas a vu s'ouvrir un nouveau front, cette fois au sein du sérail, après les déclarations explosives du vice-président démissionnaire Abdel Halim Khaddam, qui a impliqué directement le président syrien dans l'assassinat d'Hariri. Aujourd'hui, la bataille fait rage au cœur même du système.

Un rapport assassin
Le premier rapport onusien, qui fait suite à trois mois d'enquête intensive, aura porté le coup le plus rude au pouvoir syrien. Non content de déplorer l'insuffisance de la coopération apportée par Damas, qualifiée de purement " formelle ", le juge allemand Detlev Mehlis y fait part de ses soupçons sur le régime, estimant que certains de ses membres ont cherché à l'induire en erreur. Relevant des " preuves convergentes " de leur implication dans l'attentat contre Hariri, il incrimine de hauts responsables des services de sécurité syriens et libanais, jusqu'au président Émile Lahoud lui-même, l'ultime féal de Damas au " Pays du cèdre ". Mais ces accusations, pourtant sévères, sont finalement mineures au regard de celles qui figurent dans la copie non expurgée du rapport. Dans ce document, les proches du président Bachar el-Assad sont nommément désignés comme étant les principaux auteurs du complot visant à tuer le milliardaire libano-saoudien. Cette version ayant été diffusée avec une belle complaisance par la délégation britannique à l'ONU, il est difficile de ne pas voir dans la conjonction de ces deux rapports une stratégie de déstabilisation du pouvoir syrien.
Comparaissent sur le banc des accusés des responsables de premier plan : Maher el-Assad, le frère cadet du président syrien et chef de la Garde présidentielle ; Assef Chawkat, son beau-frère, le tout-puissant chef des renseignements militaires (Amn al-askari) et, depuis plusieurs mois, de l'ensemble des services secrets ; Hassan Khalil, le prédécesseur de Chawkat à la tête des renseignements militaires ; le colonel Rostom Ghazalé, qui dirigeait les services de sécurité du corps expéditionnaire syrien au Liban ; et le chef de la Sûreté générale libanaise, Jamil as-Sayyed (actuellement emprisonné à Beyrouth). Le rapport se fonde sur les déclarations de plusieurs témoins, dont un mystérieux transfuge syrien dont le nom ne figure pas (1). Selon cette dernière source, " sept hauts responsables syriens et huit officiels supérieurs libanais " ont planifié l'attentat contre Rafic Hariri au cours de plusieurs réunions entre juillet et décembre 2004.
Peu après la remise de ce premier rapport d'étape, le Conseil de sécurité adopte à l'unanimité, le 31 octobre, la résolution 1636. Elle prolonge la résolution 1595, qui établissait la commission d'enquête internationale, et somme la Syrie de " coopérer pleinement et sans réserve ". Elle va très loin en habilitant cette commission " à interroger tout agent public " syrien ou libanais " si elle le juge utile pour l'enquête ". Cette fois, Damas est comme acculé dans un coin de ring où chaque contre-attaque, chaque déplacement pour en sortir l'expose à de nouveaux coups. Le pouvoir baasiste le reconnaît par l'intermédiaire de ses médias. " Le projet de résolution, conjugué aux pressions et à une campagne médiatique soigneusement préparée, cherche à séparer le peuple syrien de ses dirigeants ", écrit le quotidien officiel Techrine peu avant l'adoption de la résolution 1636. Traduisant les appréhensions des dirigeants, il évoque même un " piège " tendu au régime visant " à le traduire devant …