Ilda Mara et Pascal Drouhaud - Monsieur le Premier ministre, à quel moment avez-vous décidé d'abandonner votre métier de médecin et de vous lancer en politique ?
Sali Berisha - Dès avant la chute du mur de Berlin, ma décision était prise. Le régime dictatorial qui sévissait alors en Albanie représentait une humiliation inacceptable. À l'époque, j'étais très impressionné par Sakharov et par la manière extrêmement habile dont il essayait de s'attaquer au système. D'abord, j'ai dû convaincre ma famille, ce qui n'a pas été facile. Ensuite, j'ai commencé à participer à des réunions. Puis, en 1990, j'ai publié un article dans le journal des écrivains, Drita (1). C'était une sorte d'adresse lancée aux intellectuels pour qu'ils se débarrassent de la chape de conformisme et d'autocensure qui pesait sur leurs épaules. Ce texte a été repris par Le Monde diplomatique et dans une brochure de Radio Free Europe. Il a eu un retentissement énorme. La même année, j'ai écrit un autre article pour réclamer l'instauration du pluralisme politique. En août 1990, Ramiz Alia a organisé une rencontre avec quarante intellectuels. J'ai pris la parole pour défendre les droits de l'homme et la liberté de la presse. C'est de là que date le début du processus qui a fini par aboutir à la chute du régime communiste !
I. M. et P. D. - Vous avez été président de 1992 à 1997. Quelles sont les erreurs que vous ne commettriez plus si vous aviez à accomplir le même parcours ?
S. B. - Si j'avais à recommencer, je porterais une plus grande attention au cadre législatif. Pendant les cinq années que j'ai passées au pouvoir, l'Albanie a enregistré de très bons résultats qui la plaçaient en tête des pays en transition : une croissance moyenne de 9,3 %, avec des pointes jusqu'à 14 % ; un taux d'inflation ramené de 300 % à 2-3 %. Puis est arrivée l'affaire des pyramides financières (2). Je ne chercherai pas à fuir mes responsabilités : la prolifération de ces sociétés douteuses a été tolérée par le gouvernement et par moi-même. Pour la simple raison qu'il existait alors un vide législatif. Le Code civil autorisait le prêt avec intérêt, mais sans prévoir le moindre garde-fou : les sociétés pyramidales se sont aussitôt engouffrées dans cette brèche. Par parenthèse, j'observe qu'aucune institution internationale ne s'est alors élevée contre une telle pratique. En tout cas, la leçon à tirer de tout cela, c'est que, si un État ne dispose pas, dans son arsenal juridique, de dispositions qui permettent d'encadrer les pratiques frauduleuses, aucune mesure ne peut être prise. À l'époque, je baignais comme tout le monde dans l'euphorie du tout-libéral et j'ai laissé la situation se dégrader, sans me rendre compte des conséquences. Si c'était à refaire, je vous garantis que je m'entourerais de précautions !
I. M. et P. D. - Inversement, de quelles réalisations êtes-vous le plus fier ?
S. B. - Ma plus grande fierté, c'est d'avoir, en quatre ans, transformé le pays le …
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