Depuis l'été 1974 et l'intervention militaire de l'armée turque à Chypre, le sort de cette petite île de la Méditerranée constitue un véritable casse-tête tant pour l'ONU que pour l'Union européenne. Le récent plan de réunification proposé par Kofi Annan (1) fut, en effet, un échec cinglant : accepté par les Chypriotes turcs, ce texte a été rejeté par les Chypriotes grecs lors d'un référendum tenu le 24 avril 2004. Mais l'espoir n'est pas mort pour autant. Ne serait-ce que parce que l'adhésion de Chypre à l'UE, le 1er mai 2004, et les négociations d'adhésion entamées avec la Turquie le 3 octobre 2005 pourraient contribuer à débloquer la situation. Reste, il est vrai, que le gouvernement d'Ankara persiste dans son refus de reconnaître diplomatiquement Nicosie, d'ouvrir ses ports et ses aéroports aux bateaux et avions chypriotes et de mettre fin à l'occupation de la partie nord de l'île... Élu président de la République de Chypre en février 2003 pour un mandat de cinq ans, Tassos Papadopoulos s'est fixé comme objectif la réunification de son pays par une solution « juste, viable et fonctionnelle ». Sa rencontre avec Kofi Annan, le 28 février 2006 à Paris, a permis d'établir les conditions d'un nouveau tour de négociations entre Chypriotes grecs et Chypriotes turcs. Ces discussions devraient intervenir dans un avenir proche. Sera-ce l'occasion, pour l'homme fort de Nicosie, de rebattre les cartes et de faire enfin triompher une cause en suspens depuis plus de trente ans ?
Jean Catsiapis et Alexandre Del Valle - Comment expliquez-vous que les Chypriotes grecs aient refusé le plan de réunification proposé par Kofi Annan ?
Tassos Papadopoulos - Par le référendum du 24 avril 2004, le peuple chypriote n'a pas rejeté la réunification de Chypre mais le plan qui lui était soumis. Ce plan n'aurait permis de réunifier ni la société, ni l'économie ni les institutions de l'île. S'il avait été adopté, seul un nombre limité de réfugiés chypriotes grecs auraient pu retourner dans le nord du pays ; de plus, la République de Chypre n'aurait pas disposé d'une Banque centrale et n'aurait donc pas pu appliquer une politique monétaire unifiée. Sur le plan institutionnel, le plan Annan prévoyait la disparition des institutions politiques actuelles dans les vingt-quatre heures suivant sa mise en oeuvre... mais il n'envisageait pas l'instauration d'un État fédéral pour autant : aucune décision politique ou administrative n'aurait été possible sans l'accord des dirigeants des deux communautés. Un tel système aurait conduit à une impasse permanente. Il faut aussi ajouter que les Chypriotes grecs - qui devaient donc renoncer sans délai aux institutions de la République de Chypre - n'avaient aucune garantie quant à l'application par la Turquie du plan Annan. Quand on observe la façon dont Ankara tergiverse pour étendre aux dix nouveaux États de l'Union européenne son accord d'union douanière (2), on peut facilement comprendre que les Chypriotes grecs aient éprouvé un peu de scepticisme quant à la volonté du gouvernement turc de se conformer au plan de l'ONU !
J. C. et A. D. - Les grands partis de Grèce, la Nouvelle Démocratie et le Pasok, qui étaient favorables au plan Annan, n'ont pas été suivis par les Chypriotes grecs. Par surcroît, Athènes n'a pas participé aux manoeuvres militaires d'octobre 2005 organisées par votre gouvernement. Serions-nous en train d'assister à une détérioration de vos relations ?
T. P. - Certainement pas. Nos rapports sont excellents : tous les partis politiques grecs n'ont-ils pas soutenu l'adhésion de Chypre à l'Union européenne ? S'il est vrai que, sur certains points, il peut y avoir des différences d'appréciation, je retiens surtout que les formations de Grèce au grand complet ont fait savoir qu'elles respectaient la volonté que le peuple chypriote a exprimée le 24 avril 2004. Quant aux manoeuvres militaires, il est normal que ces exercices, qui n'avaient pas eu lieu depuis quatre ans et auxquels participent nos réservistes, aient été effectués exclusivement par des forces chypriotes. L'essentiel, c'est que la doctrine militaire définie par Athènes et Nicosie sur l'« espace militaire unifié » (3) soit toujours en vigueur. J'en profite pour souligner que lorsqu'il y a des manoeuvres en zone occupée, elles sont toujours le fait de l'armée turque et non des forces chypriotes turques. Voilà qui devrait rappeler à l'Union européenne - avec laquelle Ankara a entamé des négociations - que cette armée est une armée d'occupation !
J. C. et A. D. - Où en sont les relations franco-chypriotes ? Le communiqué publié le 4 …
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