Sa nouvelle passion est la plongée sous-marine. « J'aime me retrouver seul, sans garde du corps, dans le silence des profondeurs de la mer Noire », raconte en souriant Serguei Stanichev, le jeune premier ministre bulgare. À tout juste trente-neuf ans, celui que ses concitoyens ont surnommé le « golden boy du socialisme » cultive un style moderniste, même s'il a dû - protocole oblige - abandonner sa moto. Les télévisions adoraient le filmer en jeans et blouson de cuir sur la selle de son gros cube. « Si, par malheur, j'étais tombé devant les caméras, vous imaginez les dégâts », ironise cet historien formé à Moscou, puis à la London School of Economics.Né en Ukraine, à Kherson, d'un père haut dirigeant du Parti communiste bulgare et d'une mère russe, professeur à l'Université de Sofia, il a réussi à rénover l'image du Parti socialiste bulgare (PSB). Cette force politique issue de l'ex-PC appartient désormais à l'Internationale socialiste.
Mais les handicaps sont lourds, d'autant que le PSB, qui tenait en décembre son 46e congrès, porte le poids, au moins symboliquement, d'une certaine filiation avec l'ancien omniprésent parti-État de l'époque soviétique... ce qui ne l'empêche pas, il est vrai, de dénoncer le bilan désastreux des dernières années du communisme.
Le PSB était déjà revenu au pouvoir entre janvier 1995 et février 1997, sous la direction du jeune apparatchik Jean Videnov. L'expérience s'était achevée par un fiasco au niveau tant économique que social. Le gouvernement avait été contraint de démissionner sous la pression de la rue et des élections anticipées avaient reconduit la droite au pouvoir.
Séduire à nouveau les électeurs relevait donc de la gageure. Serguei Stanichev a pourtant gagné son pari lors des législatives de juin 2005. Mais sa victoire a été trop courte pour offrir à sa formation une vraie majorité : le PSB a obtenu 34 % des voix contre 22 % au MNSII, le mouvement de l'ex-roi Siméon II, et 14 % au MDL, le parti de la minorité turque, qui représente 9% de la population. Après presque deux mois de tractations, le PSB a fini par trouver un accord avec le MNSII - qui a dirigé le pays de 2001 à 2005 - et avec le MDL pour composer une large alliance de gouvernement.
C'est donc à présent une coalition gauche-droite qui forme le gouvernement. L'entrée dans l'Union, principal ciment de cette coalition, est la priorité nationale. Cet objectif, largement partagé par l'ensemble des partis politiques bulgares, à l'exclusion de la formation d'extrême droite Ataka, anesthésie la compétition politique traditionnelle malgré une échéance présidentielle à l'automne prochain. En revanche, ce consensus crée un espace libre pour les formations radicales et, surtout, pour un nouvel acteur de la vie politique bulgare : Bojko Borissov, le nouveau maire de la capitale, Sofia, qui envisage de créer un parti nationaliste chassant sur les terres du MNSII. Avec sa verve imagée et son discours populiste, Borissov s'est imposé comme l'un des candidats sérieux à la présidentielle de cet automne. Il y affrontera le président sortant, Gueorgui Parvanov, lui aussi, comme Stanichev, dirigeant du PSB. Il n'en demeure pas moins que, dans ce régime parlementaire, c'est le premier ministre qui exerce la réalité du pouvoir. En poste jusqu'en juin 2009, Serguei Stanichev entend bien s'attaquer résolument à la corruption qui mine le pays et négocier au mieux l'adhésion de la Bulgarie à l'Union européenne, prévue pour le 1er janvier prochain.
Sonja Mink et Marc Semo - La Bulgarie sera-t-elle prête à adhérer, comme prévu, à l'Union européenne le 1er janvier 2007 ?
Serguei Stanichev - Je crois que le pays est prêt ; mais chacun sait que, quel que soit l'avis rendu par les experts, la décision des Vingt-Cinq quant à notre intégration effective sera avant tout politique. Après le grand élargissement de mai 2004 et l'échec des référendums sur le Traité constitutionnel en France et aux Pays-Bas, l'Union connaît une vraie crise d'identité. C'est dans ce contexte tendu que notre candidature sera jugée, ce qui risque de nous compliquer la tâche. Je voudrais toutefois rappeler que, tout comme les autres pays de l'ancien bloc socialiste, la Bulgarie fait partie du « cinquième élargissement » (1) : ce n'est pas comme si nous venions seulement d'entamer les négociations d'adhésion ! Nous faisons partie des treize pays qui ont demandé à rejoindre l'Union au début des années 1990, et en avons accepté les règles. C'est ainsi qu'en vertu du « principe de différenciation » les négociations ont débuté le 15 février 2000 mais ont duré un peu plus longtemps avec la Bulgarie et la Roumanie, assurément moins préparées que Malte ou la Slovaquie. C'est pour cette raison que nous faisons toujours l'objet d'une observation très stricte - et, de fait, bien plus stricte que celle à laquelle avaient été soumis nos voisins entrés dans l'Union il y a deux ans...
S. M. et M. S. - Vous craignez donc de faire les frais de la crise actuelle de l'UE ?
S. S. - Il est certain que l'ambiance nous est peu favorable. En 2004, quelques-uns des dix nouveaux entrants n'étaient pas tout à fait prêts mais le climat politique de l'époque était tellement enthousiaste que les Quinze ont choisi de fermer les yeux sur les faiblesses de plusieurs candidatures. Ce momentum est passé. Bien entendu, nous pouvons le regretter ; mais, d'une certaine façon, c'est aussi une chance. Puisque les Vingt-Cinq étudient notre dossier avec une très grande rigueur, nous devons, de fait, nous montrer irréprochables. Ainsi, les réformes que nous mettons en oeuvre au titre de l'acquis communautaire ne sont pas des formalités absurdes : il s'agit de hisser notre pays aux mêmes standards que les autres pays de l'UE. Bref, au final, nous serons les premiers bénéficiaires de cette exigence accrue. Je vous donne un exemple : en octobre, la Commission a publié un rapport assez critique sur nos progrès, notamment en matière de justice. Certains auraient pu penser que la Bulgarie serait découragée par ce bilan peu flatteur, mais c'est le contraire qui s'est produit. Nous avons été dopés par les enjeux. Avec le soutien de Bruxelles, nous avons mieux identifié nos faiblesses et élaboré un « plan d'action pour 2006 ». Son but : mobiliser toutes les institutions du pays pour nous préparer au mieux à l'adhésion de 2007.
S. M. et M. S. - Le rapport de la Commission que vous venez de mentionner dénonçait en …
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