UNE DÉMOCRATIE TRAQUÉE

n° 111 - Printemps 2006

Le dossier nucléaire iranien, la survie du régime de Damas, la victoire du Hamas dans les territoires palestiniens et même la guerre en Irak : il n'y a guère de sujet de conflit au Moyen-Orient qui n'ait des répercussions directes ou indirectes sur le Liban. À peine les troupes syriennes avaient-elles achevé leur retrait que le petit « pays du Cèdre » retrouvait un rôle dont il se serait bien passé : servir de terrain de confrontation. Entre Damas et Téhéran, d'un côté ; les États-Unis et certains de leurs alliés occidentaux, de l'autre. Ces antagonismes se combinent à un autre dossier non moins épineux, spécifiquement libanais cette fois, mais avec aussi de lourdes implications internationales : le désarmement du Hezbollah. Enfin, à la marge, les services de sécurité libanais et occidentaux signalent l'irruption sur la scène intérieure d'une mouvance djihadiste qu'ils disent manipulable et dont l'influence ne cesse de progresser, au risque de créer de nouvelles tensions dans un pays où les équilibres interconfessionnels et la stabilité politique demeurent fragiles.

Des lendemains qui déchantent

Elle est désormais oubliée la belle euphorie qui, en mai 2005, avait saisi les dirigeants des principaux partis libanais, à l'exception des formations chiites. Elle pouvait sembler légitime. Outre le départ des derniers soldats syriens, le 26 avril, après une présence écrasante de vingt-neuf ans, la vie démocratique avait repris quasiment tous ses droits ; des élections législatives, enfin libres de toute influence étrangère, étaient en préparation ; et les jours des derniers féaux de Damas, à commencer par le président Émile Lahoud, semblaient comptés. Les adversaires les plus résolus du régime syrien reprenaient leur place sur l'échiquier politique : le général chrétien Michel Aoun venait de rentrer d'exil (le 7 mai) et on annonçait la prochaine amnistie de l'ancien chef des Forces libanaises (la droite populaire chrétienne) et autre maronite, Samir Geagea (1).

L'avenir semblait d'autant plus prometteur que, le 7 avril, le Conseil de sécurité de l'ONU avait adopté la résolution 1595 établissant la création d'une commission d'enquête internationale sur l'assassinat de l'ancien premier ministre Rafic Hariri. Non seulement les auteurs du crime allaient être retrouvés et châtiés mais, croyait-on, du fait du regard vigilant des instances internationales sur le « pays du Cèdre », plus personne n'oserait se risquer à la moindre entreprise de déstabilisation. Le « Printemps libanais », cette rébellion singulière, baptisée aussi « Intifada de l'indépendance », qui avait précipité dans la rue des centaines de milliers de jeunes, rassemblé la rue chrétienne, les petites gens comme la bourgeoisie volontiers désinvolte, la raide Montagne druze, les sunnites du littoral, et même quelques personnalités chiites, sans compter tous les intellectuels du pays, qui avait fait tomber un gouvernement, chassé une armée entière, obligé une dictature à s'incliner, semblait porter la promesse d'un bel été.

Un an plus tard, le rêve a accouché d'une tout autre réalité. Certes, la démocratie semble assez bien accrochée. Mais c'est une démocratie traquée. Menacée par les attentats, minée par les manoeuvres clientélistes des principaux acteurs …