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ISRAEL : LES CONDITIONS DE LA SURVIE

Tzipi Livni, 48 ans, est la fille d'Eytan Livni, ancien député, qui fut l'un des lieutenants de Menahem Begin au sein de l'Irgoun, le mouvement de lutte contre le mandat britannique en Palestine. Juriste de formation, elle a travaillé pendant quelques années au Mossad, le service israélien du contre-espionnage. Entrée en politique en 1999, elle est élue députée du Likoud la même année. Son parcours sera exemplaire. Dès 2001, elle est nommée ministre de la Coopération dans le premier gouvernement Sharon. En février 2003, elle reçoit le portefeuille de l'Intégration des immigrants dans le deuxième Cabinet formé par le premier ministre. En décembre 2004, elle prend en charge le ministère de la Justice. Un peu moins d'un an plus tard, favorable au désengagement de Gaza, elle quitte le Likoud avec Ariel Sharon et crée, avec lui et Ehoud Olmert, le parti Kadima qui remportera les législatives de mars 2006. Entre-temps, en janvier, elle devient ministre des Affaires étrangères.À l'issue du scrutin, Ehoud Olmert, déjà premier ministre par intérim depuis l'accident cérébral dont Ariel Sharon a été victime au début de l'année, prend la tête du gouvernement. Il décide de maintenir la populaire Tzipi Livni à la tête de la diplomatie israélienne et de la nommer premier vice-premier ministre.

Emmanuel Halperin - Vous dites souvent que « le temps travaille contre Israël ». Comment êtes-vous parvenue à ce constat ?
Tzipi Livni - Nous assistons, au sein de la communauté internationale, à un processus qui, consciemment ou non, aboutit à la remise en cause de la légitimité de l'État d'Israël en tant que foyer national du peuple juif. Ce processus me paraît très inquiétant. Notre État a été fondé il y a presque soixante ans - avec, dois-je le rappeler, le soutien de la communauté internationale - afin d'apporter une solution au problème du peuple juif. Israël assume sa mission en permettant à tout Juif qui le désire de venir s'installer dans sa patrie et d'y affirmer son identité. Depuis sa création, nous luttons pour assurer l'existence du pays ; or, au fil des années, ce combat a pris une dimension essentiellement sécuritaire, je dirais même physique, aussi bien dans notre discours interne que dans notre rapport au monde...
E. H. - Mais le droit d'Israël à l'existence est, me semble-t-il, très largement reconnu ; et à chacun de vos voyages à l'étranger, notamment en Europe, vous le constatez...
T. L. - C'est vrai, le monde libre reconnaît le droit d'Israël à l'existence. Il n'en demeure pas moins que, comme je viens de vous le dire, un élément de son discours s'est émoussé au cours des cinquante-huit dernières années : l'affirmation du droit d'Israël à être le foyer national du peuple juif. Ce droit est à présent moins défendu qu'auparavant par l'Occident... et je ne vous apprendrai rien en rappelant qu'une partie du monde arabe le conteste avec véhémence. C'est la raison pour laquelle notre conflit avec les Palestiniens se prolonge. Bref, je me rends compte que ce qui va de soi pour nous n'est pas toujours évident pour la communauté internationale.
E. H. - On retrouve le même argument dans les discours de bon nombre de dirigeants arabes. On le trouve, ainsi, dans la fameuse Charte nationale palestinienne (1) et dans celle du Hamas (2). L'idée est toujours la même : les Juifs ne sont pas un peuple.
T. L. - Effectivement. Auparavant, de tels propos étaient, en général, perçus comme des slogans politiques hostiles proférés par des ennemis d'Israël. Du coup, ces discours étaient considérés comme suspects et irrecevables. Malheureusement, aujourd'hui, cette vision des choses a été en partie intériorisée par bon nombre de nos interlocuteurs occidentaux. Chez eux, ce raisonnement devient implicite : ils s'interrogent parfois sur le caractère même de notre État sans se rendre compte que, ce faisant, ils remettent en cause le droit d'Israël à l'existence !
E. H. - Avez-vous eu le même sentiment aux États-Unis ?
T. L. - Moins qu'ailleurs, en tout cas pour ce qui est de la classe politique ou des médias. Reste qu'on retrouve ce concept dans plusieurs universités ; et on peut, également, le déceler dans la manière dont les dirigeants américains eux-mêmes présentent une éventuelle solution du conflit. C'est ce qui me préoccupe par-dessus tout. …