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LA PASSION DE L'EUROPE

Né en 1956 à Lisbonne, José Manuel Barroso est licencié en droit et diplômé en sciences européennes de l'université de Genève. Il fait ses débuts en politique après la révolution des oeillets de 1974 qui met fin à la dictature de Salazar. Il a alors 18 ans et s'engage à l'extrême gauche, au Mouvement de réorganisation du parti du prolétariat (MRPP), d'obédience maoïste. À la mort de son père, en 1977, il se rapproche du Parti social-démocrate, une formation de centre droit, dont il prendra la direction en 1999. À 31 ans, en 1987, il est nommé secrétaire d'État, avant de devenir ministre des Affaires étrangères en 1992 puis premier ministre en 2002.Il applique alors au Portugal une cure d'austérité et réussit à faire passer le déficit public, qui avait explosé à 4 % du PIB lorsque le gouvernement socialiste était au pouvoir, sous la barre des 3 % autorisée par le Pacte de stabilité. Ce tournant de la rigueur lui vaut le désamour de ses concitoyens. Un désamour qui ne fait que s'accroître quand, à contresens de l'opinion, cet Européen convaincu apporte, au nom de la solidarité transatlantique, un soutien sans faille aux États-Unis dans le conflit en Irak. Le Portugal accueille ainsi, en mars 2003, le célèbre sommet des Açores, qui réunit George W. Bush, Tony Blair et José Maria Aznar quelques jours seulement avant le déclenchement de la guerre.
En juillet 2004, M. Barroso est désigné président de la Commission européenne par les États membres de l'UE. Il n'a alors accompli qu'un peu plus de la moitié de son mandat et fait figure, à Bruxelles, de candidat de compromis après l'échec des négociations sur le nom du Belge Guy Verhofstadt et le retrait du Britannique Chris Patten. Son départ ouvre, au Portugal, une crise qui a failli déboucher sur une dissolution du Parlement. Mais le président socialiste, Jorge Sampaio, décide de confier à la majorité de centre droit le soin de former un nouveau gouvernement.
La nouvelle fonction de Barroso ne sera pas plus reposante. Au lendemain de l'élargissement du 1er mai 2004, la priorité est de faire adopter le projet de Constitution européenne. En mai-juin 2005, le rejet du texte par les électeurs français puis néerlandais sera un vrai coup dur. Dans les débats sur le fameux Traité, l'ex-premier ministre portugais n'a cessé de défendre le principe de l'égalité entre les États membres. Sur cette position, il n'a pas varié : pour lui, la Commission européenne doit soutenir les États les plus faibles et les plus pauvres. Car chaque pays, quelle que soit sa taille, a un rôle à jouer dans l'Union. À l'heure où la construction européenne vacille, M. Barroso persiste et signe : il n'y a pas d'avenir pour le Vieux Continent en dehors de l'UE.

Isabelle Lasserre - Au vu des difficultés que vous devez affronter à Bruxelles, ne regrettez-vous pas d'avoir abandonné la carrière politique que vous conduisiez dans votre pays, le Portugal ?
José Manuel Barroso - Non. Je savais d'emblée que ma mission à la tête de la Commission serait difficile. C'est d'ailleurs en partie pour cette raison que j'ai accepté ce poste, il y a un an et demi. Contribuer à définir la politique de l'Europe, participer à l'édification de l'UE, surtout à une période charnière comme en ce moment : voilà un challenge stimulant ! J'ajoute que je prendrais la même décision si la question m'était reposée aujourd'hui. Et cela, malgré le fait que, à l'heure où nous parlons, les défis soient encore plus grands que lors de mon entrée en fonctions.
I. L. - Comment sortir de la crise que traverse l'Europe ?
J. M. B. - Je suis toujours un peu gêné par le terme de crise. Bien sûr, il y a des problèmes ; personne ne peut le nier, a fortiori depuis les « non » français et néerlandais à la ratification du traité sur la Constitution. Mais il faut prendre un peu de recul et penser en termes de perspective historique. Il y a à peine soixante ans, l'Europe a été le théâtre de la Shoah. Cet épisode, qui compte parmi les plus tragiques que l'humanité ait connus, a eu lieu sur notre continent ! Il y a un peu plus de trente ans, mon pays, le Portugal, mais aussi l'Espagne et la Grèce, vivaient sous des dictatures de droite. Il y a encoreune quinzaine d'années, l'Europe de l'Est était soumise à desrégimes totalitaires. Certains États aujourd'hui membres à partentière de l'UE, comme les Baltes, n'étaient même pas indépendants ! Last but not least : il y a un peu plus de dix ans, des massacres terribles ont été commis dans les Balkans. Au moment d'analyser l'évolution de l'Europe, n'oublions pas toutes ces épreuves ! J'estime que l'UE est le plus grand succès de l'Histoire en termes d'association d'États. C'est la première fois que des pays qui demeurent libres procèdent à une intégration d'une telle ampleur. Nous avons construit le premier « empire anti-impérial » de tous les temps : un ensemble vaste qui, tout en jouant un rôle de premier plan sur la scène internationale, repose sur la liberté et le respect des différences de ses composantes. En un mot : il faut savoir apprécier la tendance de fond et ne pas se laisser démoraliser par des épiphénomènes, voire par des résistances ponctuelles. Ces dernières - notez-le - naissent toujours lorsqu'il y a des progrès. Pour résumer ma pensée, je ne partage pas le pessimisme de certains. Ce qui ne m'empêche nullement d'avoir pleinement conscience des problèmes que rencontre l'Europe ! Par exemple, il est vrai que la croissance de l'UE est inférieure à celle de nos principaux partenaires. C'est la raison pour laquelle la Commission a placé au coeur de sa stratégie le programme …