La démocratie sortie du piège
Les Monténégrins, en votant à 55,5 % en faveur de l'indépendance de leur pays au référendum du 21 mai 2006, viennent de franchir, non sans difficulté, une importante étape de leur histoire. Cet événement n'a guère retenu l'attention des médias internationaux - la plupart, en effet, comprennent mal les problèmes et les enjeux de cette contrée peu connue. Quant aux dirigeants, particulièrement ceux de l'Union européenne, ils en ont eu une vision erronée qui les a conduits à des initiatives hasardeuses.
D'ordinaire, un référendum, expression par excellence de la volonté populaire, est une opération claire : ou bien c'est le « oui » qui l'emporte, ou bien c'est le « non ». Ici, par la grâce de la diplomatie européenne, il y avait trois issues possibles. Les électeurs monténégrins devaient, certes, se prononcer pour ou contre l'indépendance de leur république ; mais Bruxelles avait obtenu l'introduction, dans la loi référendaire, d'une « majorité qualifiée » : l'indépendance ne serait proclamée que si le « oui » rassemblait 55 % des voix. Situation inédite dans l'histoire mondiale des consultations populaires ! Au-dessus de 55 % ou au-dessous de 50 %, le choix de la majorité, pour ou contre l'indépendance, serait respecté ; mais entre 50 et 55 % (fourchette qui paraissait la plus probable selon les sondages), on entrait dans une « zone grise » où la minorité unioniste aurait imposé sa volonté à la majorité indépendantiste, laquelle aurait néanmoins continué à exercer le pouvoir. Autant dire que l'Europe tendait un piège à la démocratie. Elle organisait le triomphe de la minorité et mettait en place tous les éléments d'un imbroglio insoluble et dangereux. « L'Europe fait-elle exprès d'introduire le virus de l'instabilité dans le système politique monténégrin ? », pouvait s'interroger avec raison un journaliste local (1).
Cette exigence exorbitante des Européens n'était que la traduction juridique de leur volonté politique de maintenir à tout prix un lien entre la Serbie et le Monténégro. Depuis la chute de Slobodan Milosevic, en 2000, l'UE a tout fait pour essayer de rétablir, puis de conserver cette fiction d'État commun à laquelle le gouvernement monténégrin de Milo Djukanovic - tout comme, selon toute vraisemblance, la majorité des citoyens - était opposé. Cette politique, suivie avec constance par le chef de la diplomatie européenne, Javier Solana, fut un jour signifiée au président monténégrin par Jacques Chirac avec une grande brutalité verbale. L'UE avait donc, depuis plusieurs années, multiplié les obstacles devant une possible indépendance : c'est elle qui a institué, en 2002, la « Communauté d'États de Serbie-et-Monténégro » (CESM, couramment appelée Solania à cause du rôle joué, dans sa naissance au forceps, par l'homme politique espagnol) ; c'est elle, aussi, qui a fait reporter le référendum sur l'indépendance monténégrine à deux reprises, de 2002 à 2005 puis à 2006. Mais l'échéance de 2006 a fini par arriver. Bruxelles a alors dressé un dernier obstacle : l'exigence d'une majorité de 55 %. C'était, pensait-on, une façon de ménager la …
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