Les Grands de ce monde s'expriment dans

LES DEFIS DE L'INDEPENDANCE

Milo Djukanovic a gagné son pari : le Monténégro est indépendant. Le 21 mai 2006 au soir, les images retransmises depuis Podgorica par les chaînes de télévision montraient une foule en liesse. La jeunesse avait envahi les rues, la fête battait son plein dans les bars, les cris de victoire résonnaient dans la ville tout entière. On avait le sentiment d'assister en direct à une révolution aux mille couleurs, semblable à celles vécues récemment par l'Ukraine et la Géorgie. Mais avec une différence de taille : cette fois-ci, c'est le pouvoir en place qui « libérait » son pays.
La joie était d'autant plus grande que le dépouillement des bulletins avait, à diverses reprises, laissé planer l'incertitude sur l'issue du scrutin. Milo Djukanovic a donc attendu le décompte des voix réalisé par son propre parti pour prendre la parole, tard dans la nuit. La loi référendaire, respectueuse des exigences de Bruxelles, avait fixé à 55 % des suffrages exprimés le seuil à dépasser pour valider l'indépendance. Au final, le « oui » a recueilli 55,5 % des voix, avec un taux de participation de 86,6 % - un record historique.
Il reste que, malgré la joie de l'indépendance retrouvée (1), les lendemains s'annoncent difficiles. La plupart des Monténégrins ont voté pour l'indépendance en espérant que leurs conditions de vie s'en trouveraient substantiellement améliorées. Ils attendent à présent un miracle. Quant aux minorités, et avant tout la minorité albanaise, elles espèrent que le pouvoir saura, d'une manière ou d'une autre, se montrer reconnaissant : sans elles, en effet, jamais la barre fatidique des 55 % n'aurait été atteinte.
Certes, le Monténégro ne manque pas d'atouts - M. Djukanovic l'explique fort clairement dans cet entretien exclusif. Mais il lui faudra jouer serré s'il veut à la fois préserver ses bonnes relations avec Belgrade et avancer sur le chemin de l'intégration euro-atlantique. Bref, du succès de M. Djukanovic dépend, pour une large part, l'avenir du futur 192e pays membre des Nations unies.

Milos Krivokapic - Monsieur le premier ministre, quand l'opposition, dans votre pays, a refusé de reconnaître le résultat du référendum, avez-vous été surpris ?
Milo Djukanovic - Malheureusement, non. C'est une pratique courante : depuis 1997, l'opposition n'a quasiment jamais admis les résultats des élections. À croire que, pour elle, il n'y a que deux cas de figure : soit elle gagne, soit il y a bourrage des urnes. Le plus curieux, c'est que cette fois-ci nous avions établi les règles ensemble, avec la participation des représentants de l'Union européenne. Je pense que c'est Belgrade qui est derrière cette manoeuvre. En laissant supposer que ce référendum était entaché de fraude, nos opposants espèrent sans doute rendre possible un éventuel retour du Monténégro sous l'aile protectrice de la Serbie, ce qui est totalement illusoire.
M. K. - Quelles mesures vous apprêtez-vous à prendre en tant que premier ministre de ce nouvel État souverain ?
M. D. - J'ai trois priorités. La première consiste à poursuivre les négociations sur l'accord d'association et de stabilisation avec l'Union européenne. J'ai bon espoir de finaliser cet accord avant la fin de l'année. Deuxième priorité : entamer des discussions avec Belgrade afin de définir le cadre de nos futures relations. Dès avant le référendum, une plate-forme de négociations a été proposée aux Serbes, qui n'y ont pas encore répondu. Mais laissons-leur le temps de se remettre de leurs émotions ! Quant à la troisième priorité, elle pourrait aussi être la première : il s'agit de combler le fossé qui sépare le nord et le sud du Monténégro afin de consolider l'unité politique et de progresser sur le chemin de l'Europe.
M. K. - Non sans une certaine ironie, vous avez félicité la Serbie pour son indépendance. Comment voyez-vous l'avenir des relations serbo-monténégrines ?
M. D. - Il n'y a aucune raison pour que les relations entre la Serbie et le Monténégro ne soient pas amicales. En choisissant de rétablir l'indépendance de notre pays, nous n'avons pas voulu porter atteinte à la Serbie, ni à qui que ce soit d'autre dans notre voisinage. Nous tenions à avoir notre propre État parce que nous voulions nous rendre maîtres de notre avenir européen. Tout simplement. Nous sommes évidemment prêts à collaborer étroitement avec tous ceux qui, dans la région, partagent cette aspiration, y compris la Serbie.
M. K. - Quelles sont les mesures, économiques ou autres, que vous allez prochainement mettre en oeuvre et que vous ne pouviez pas appliquer avant le référendum ?
M. D. - Du point de vue économique, la Serbie et le Monténégro étaient déjà deux États souverains. L'indépendance ne change donc pas grand-chose. En revanche, dans les domaines de la diplomatie et de la défense, nous allons enfin avoir les coudées franches. Nous pourrons, en particulier, adhérer aux institutions internationales qui jusqu'à présent nous étaient fermées. En tant que petit pays, nous serons mieux à même de défendre nos intérêts.
M. K. - Quel type d'économie avez-vous l'intention de promouvoir ?
M. D. - …