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L'HOMME QUI DEFIE LOUKACHENKO

Le Bélarusse Alexandre Milinkevitch a la carrure d'un dirigeant de type nouveau dans l'espace post-soviétique, à l'instar du Géorgien Mikhaïl Saakachvili et de l'Ukrainien Viktor Iouchtchenko.Né en 1947, cet éminent physicien, qui parle cinq langues dont l'anglais et le français, a effectué plusieurs stages en France, aux États-Unis et en Grande-Bretagne pour étudier le management, la gestion et d'autres aspects de la construction étatique. Ancien vice-maire (1990-1996) de l'une des plus grandes villes du pays, Grodno, il est également un historien reconnu... et un basketteur au passé célèbre. Depuis sa désignation, en octobre 2005, comme représentant unique de l'opposition à la présidentielle de mars 2006, Milinkevitch s'est rendu à plusieurs reprises à l'étranger et, en particulier, en France. Les contacts politiques qu'il y a noués ont fait de lui un interlocuteur incontournable des Occidentaux pour toute discussion sur l'avenir du Bélarus.
Au cours de l'élection présidentielle de mars 2006, il a été opposé à trois autres candidats : le président sortant Alexandre Loukachenko, qui briguait un troisième mandat consécutif de six ans ; le mathématicien et ancien ministre Alexandre Kozouline, leader du Parti social-démocrate, seul dirigeant démocrate à ne pas avoir rejoint l'opposition unie ; et le chef du Parti libéral-démocrate (nationaliste) Sergueï Gaïdoukevitch. Le résultat officiel du scrutin n'a surpris personne : Loukachenko a obtenu 82 % des voix, Milinkevitch 6 %, Gaïdoukevitch 3,5 % et Kozouline 2,3 %.
Mais l'importance de la consultation ne réside pas dans ces chiffres tronqués. Pour la première fois depuis l'arrivée d'Alexandre Loukachenko au pouvoir, en 1994, l'opposition démocratique a réussi à s'unir pour continuer le combat. Elle est descendue dans la rue pour protester contre la falsification de la procédure électorale. Sous la direction d'Alexandre Milinkevitch, des milliers de contestataires ont tenté de lancer une « révolution douce » à la bélarusse. Même si le pouvoir a réussi, pour le moment, à écarter le danger, le leader démocrate se montre plus combatif que jamais : tôt ou tard, il en est persuadé, son heure viendra.

Galia Ackerman - La victoire d'Alexandre Loukachenko à la présidentielle de mars dernier est-elle au-dessus de tout soupçon ?
Alexandre Milinkevitch - Formellement, le pouvoir a gagné. Mais, en réalité, il a perdu car, cette fois, il n'a même pas essayé de préserver les apparences ! M. Loukachenko tenait absolument à obtenir un score très élevé. Eh bien, même s'il est arrivé à ses fins, j'estime que son zèle s'est avéré contre-productif. Tous ceux qui s'y connaissent en politique savent, en effet, que ses 82 % relèvent de la fumisterie. Les autorités auraient pu ne pas pousser la falsification aussi loin et publier des résultats plus crédibles. J'estime que le président-candidat a obtenu 20 ou 30 % de suffrages de moins qu'il le prétend. Durant toute la campagne, le régime a opté pour un comportement parfaitement cynique. Par exemple, il a largement eu recours au « vote par anticipation » pour les électeurs qui, soi-disant, ne seraient pas en mesure de voter dans leur circonscription le jour du scrutin. Or chacun sait que cette technique est propice à tous les trucages. De plus, le régime a tout fait pour forcer les électeurs à participer à cet exercice frauduleux. Dans certaines circonscriptions, on a substitué à la vraie procédure de vote... une collecte de signatures sur des listes électorales ! Comment ne pas comprendre, dès lors, que M. Loukachenko tient son peuple en piètre estime ? Je suis certain que les gens qui ont de la dignité - et ils sont nombreux ! - ne le lui pardonneront pas.
G. A. - Ce que vous dites m'intrigue. Le président sortant était, de toute façon, certain de gagner avec un score plus ou moins élevé. Pourquoi s'est-il livré à toutes ces manipulations ?
A. M. - Les autorités ont dû se rendre compte qu'elles n'avaient plus de ressources - ni intellectuelles, ni économiques, ni sociales - pour gérer correctement l'État. C'est pourquoi elles se sont efforcées d'obtenir un triomphe électoral qui les légitimerait. Plus les choses allaient mal et plus elles avaient besoin d'une victoire « écrasante ».
G. A. - L'opposition était-elle moralement prête à ce que ses candidats - vous-même et Alexandre Kozouline - obtiennent des scores aussi bas ?
A. M. - La vérité, c'est que nous n'avons ni gagné ni perdu. Avant même le scrutin, nous savions déjà que nous ne pouvions pas l'emporter dans la mesure où personne n'aurait osé faire un décompte honnête des voix. Dans ces conditions, me direz-vous, pourquoi avoir participé à cette farce - d'autant que, par le passé, il nous était déjà arrivé de boycotter complètement les scrutins organisés par le régime, comme la précédente élection présidentielle. La réponse est simple : il y a eu de longues discussions à ce sujet au sein de l'opposition et, finalement, nous avons dû admettre que les boycotts électoraux avaient été, pour nous, des expériences négatives. Nos refus de prendre part aux élections nous avaient marginalisés au sein de la société. Nous avions perdu le …