Samir Geagea est une figure historique des chrétiens du Liban. D'abord parce qu'il a dirigé, pendant la guerre, l'une des principales milices : les Forces libanaises. Ensuite parce qu'il a symbolisé, dans les années d'après-guerre, l'injustice faite à cette communauté par la puissance tutélaire syrienne. Enfin parce qu'il revient aujourd'hui sur le devant de la scène, comme si onze années d'emprisonnement n'avaient en rien entamé sa force de caractère.L'homme fascine par sa détermination et une tendance au mysticisme qui le font parfois passer pour un « illuminé ». Surnommé le « hakim » (docteur) en souvenir des études de médecine qu'il fut contraint d'abandonner pour s'enrôler dans les phalanges chrétiennes - les Kataëb - au début de la guerre (1975-1990), Samir Geagea sait manier la mitraillette. On lui attribue, notamment, plusieurs assassinats politiques...
Même s'il n'a peut-être pas tiré le coup fatal, son nom reste associé à l'expédition ordonnée, le 13 juin 1978, par le fondateur des Forces libanaises, Béchir Gemayel, contre un clan chrétien rival qui avait choisi de s'allier à la Syrie. L'unité de Samir Geagea est envoyée en première ligne. L'attaque se termine en bain de sang : Tony Frangié, fils de l'ancien président de la République Sleiman Frangié, ainsi que la majeure partie de sa famille sont tués.
Samir Geagea aurait aussi éliminé l'ancien premier ministre Rachid Karamé en 1987. Il fut condamné à mort pour ce crime, avant de voir sa peine commuée en prison à vie, en 1994, à l'issue de ce que ses partisans considèrent comme un simulacre de procès. Geagea est, en effet, le seul ancien chef de guerre à avoir été traduit en justice pour des faits remontant à la période du conflit. L'amnistie dont il bénéficiait au même titre que les autres belligérants a été levée à la suite d'un attentat qui lui a été faussement attribué. Il a, en outre, été accusé du meurtre d'un autre leader chrétien, Dany Chamoun - ce qu'il a toujours nié.
Mais Samir Geagea devait réserver ses coups les plus rudes à un autre adversaire, chrétien lui aussi : Michel Aoun.
Après l'assassinat de Béchir Gemayel, Geagea s'était imposé comme son successeur incontesté. Sa domination sur l'ensemble du camp chrétien, pour lequel il a longtemps réclamé la création d'un canton autonome, butait sur les visées d'Aoun, commandant en chef de l'armée, nommé premier ministre en 1988 par le président Amine Gemayel.
La rivalité entre Aoun et Geagea s'est traduite par des affrontements interchrétiens d'une brutalité inouïe. La défaite militaire de Michel Aoun, qui a échoué par la suite dans sa guerre de libération face aux Syriens, ne consacre pas pour autant la victoire du chef des Forces libanaises : Geagea, qui refuse de composer avec Damas, est arrêté en avril 1994.
Sa libération, le 26 juillet 2005, a été la première décision du nouveau Parlement libanais issu des élections législatives organisées en avril 2005, deux mois après l'assassinat de l'ancien premier ministre Rafic Hariri.
À sa sortie de prison, le chef des Forces libanaises a d'emblée affiché sa volonté de tourner la page en s'alliant à son ancien ennemi, le druze Walid Joumblatt, et au chef de la communauté sunnite Saad Hariri. Mais cette note d'espoir - déclinée sous le slogan de l'« unité nationale retrouvée » - est assombrie par la réapparition de divisions profondes entre chrétiens.
Le clivage entre Samir Geagea et Michel Aoun, qui se disputent le leadership chrétien, est plus que jamais d'actualité. Il s'est, entre autres motifs d'opposition, cristallisé autour de la question de la présidence de la République, un poste réservé aux maronites.
Sibylle Rizk - Vous avez été à la pointe de la campagne pour la destitution du président Émile Lahoud (1) en demandant notamment aux représentants de votre parti de boycotter le Conseil des ministres. Pourquoi ?
Samir Geagea - De mon point de vue, la question présidentielle était primordiale. Pour avancer, nous (2) avions deux percées possibles : soit destituer Émile Lahoud, soit désarmer le Hezbollah (3). Prendre la présidence nous aurait permis de négocier en position de force avec le Hezbollah. Aujourd'hui, c'est beaucoup plus compliqué.
S. R. - Le Hezbollah peut-il être désarmé par la force ?
S. G. - La question n'est pas de savoir si c'est faisable. Je crois qu'il n'est pas souhaitable de recourir à la force, car le prix à payer serait trop lourd. Il faut y arriver par des moyens politiques (4). S. R - Le pacte de 1943 (5) a scellé une alliance entre sunnites et maronites pour fonder le Liban. Soixante ans plus tard, alors que le facteur chiite est devenu incontournable, comment envisagez-vous les relations des chrétiens avec cette communauté ? N'êtes-vous pas entré dans une logique de confrontation ?
S. G. - Non, pas du tout. Il n'y a aucune raison pour que la rivalité entre sunnites et chiites influe sur notre comportement. Si l'on voulait s'inscrire dans ce type de raisonnement, les chrétiens devraient se ranger aux côtés des chiites, car, au Moyen-Orient, nous sommes deux minorités. Mes choix sont guidés par une certaine vision du Liban. Pour que les chrétiens existent sur la scène politique, il faut qu'ils proposent quelque chose. Personne ne les prendra en considération s'ils se contentent de comptes de boutiquier. Il faut donc prendre position, la situation du Liban l'exige : pour ou contre Paris, Washington, Riyad ou Téhéran... Il faut choisir : accepter l'influence syrienne au Liban ou non. Je suis persuadé que notre option est la bonne : qui peut croire une seconde que la Syrie va l'emporter sur l'Occident ? Le général Aoun commet l'erreur d'entraîner ses partisans à contre-courant (6). Il pense parvenir ainsi à la présidence de la République, mais il se trompe. Ce qu'il gagne en se rapprochant du Hezbollah, il le perd ailleurs. Je suis d'ailleurs convaincu que Damas et le parti de Dieu ne soutiendront jamais sa candidature jusqu'au bout. La meilleure preuve, c'est que tous les amis de la Syrie au Liban le citent comme leur candidat, sauf les plus importants, c'est-à-dire les députés qui disposent d'une voix au Parlement (7).
S. R. - Selon vous, la Syrie a-t-elle encore les moyens de déstabiliser le Liban ?
S. G. - Bien entendu. Elle peut téléguider des partis et des mouvements. Plusieurs responsables politiques continuent non seulement de dialoguer avec les Syriens, mais ils coordonnent leurs positions avec eux. Damas a aussi la possibilité d'activer ses alliés palestiniens (8).
S. R. - Quels types de relations envisagez-vous avec la Syrie ?
S. G. - Les Syriens ont toujours reproché aux chrétiens de les considérer comme …
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