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PAYS-BAS : LA TENTATION POPULISTE

Pour l'instant, cet électron libre ne représente que lui-même, en tant que député indépendant au Parlement. Geert Wilders, 42 ans, n'en incarne pas moins, à lui seul, le glissement à droite de l'opinion néerlandaise. Ses thèses, fortement inspirées par le mouvement populiste apparu en 2000 avec Pim Fortuyn, se sont diffusées dans la société et la classe politique. Elles se sont notamment traduites par l'extrême fermeté en matière d'immigration pratiquée depuis 2003 par Rita Verdonk, la ministre conservatrice de l'Intégration, membre du gouvernement de centre droit de Jan Peter Balkenende. Même si son Parti de la liberté ne remporte que quelques sièges lors des prochaines élections législatives, prévues pour mai 2007, Geert Wilders ne devrait pas perdre en influence. Avec ses questions au Parlement et ses mises en garde permanentes contre l'islam radical, il ne joue pas seulement son rôle d'opposant. Il est aussi devenu une sorte de conscience nationale ultra-conservatrice, porte-voix d'une opinion sceptique sur l'Europe, les dirigeants politiques et l'attitude à adopter face au terrorisme islamique. Geert Wilders a lui-même rompu, en septembre 2004, avec sa famille politique d'origine, le Parti pour la démocratie et la liberté (VVD, conservateur), qu'il juge trop «mou » et trop « centriste ».
Cet ancien rédacteur de discours a fait ses premières armes avec Frits Bolkestein, dont il a été l'assistant parlementaire à partir de 1990. Avant de devenir commissaire européen, de 1999 à 2004, Frits Bolkestein s'était fait remarquer chez lui pour sa défense des « valeurs néerlandaises » et ses critiques récurrentes du modèle multiculturel d'intégration des étrangers aux Pays-Bas (où vivent 700 000 ressortissants de pays non européens, soit 4 % de la population - un niveau qui passe à 1,6 million d'« allochtones non occidentaux » et 10 % de la population si l'on prend en compte les personnes naturalisées et la seconde génération de Turcs, Surinamiens et Marocains).
« L'islam est une religion arriérée, incompatible avec la démocratie », martèle Geert Wilders, qui marche ostensiblement dans les pas de Pim Fortuyn. Assassiné le 6 mai 2002 par un Néerlandais d'extrême gauche désireux d'« empêcher toute discrimination des musulmans aux Pays-Bas », Pim Fortuyn, un tribun efficace, critique inlassable de la « société multiculturelle », a laissé un capital politique que Wilders entend bien exploiter. Comme son prédécesseur, le député a résumé ses propositions pour un changement radical dans un livre intitulé Kies voor Vrijheid (Choisissez la liberté), paru en avril 2005. Quelques mois auparavant, en décembre 2004, il avait prononcé au Parlement une « déclaration d'indépendance » où il fustigeait « l'élite qui gouverne mal ce pays et n'a pas encore tiré les leçons du meurtre de Pim Fortuyn ». Il s'est également distingué, en 2005, en étant l'un des rares hommes politiques à mener campagne contre la Constitution européenne. Le « nee » de ses concitoyens - qui a recueilli 61,6 % des suffrages lors du référendum de juin 2005 - l'a renforcé dans ses positions.
Aux Pays-Bas, une telle ligne de conduite ne va pas sans risques. Les propos de Wilders sur la religion musulmane lui ont valu de figurer sur la liste des personnes à abattre dressée par les islamistes néerlandais. Une liste à prendre au sérieux : le 2 novembre 2004, le réalisateur Theo Van Gogh, auteur du film Soumission qui exprimait une critique virulente de l'islam obscurantiste, était assassiné en pleine rue par un jeune islamiste néerlando-marocain. Après le drame, Wilders a vécu pendant deux mois dans la clandestinité, sous la protection de l'armée, tout comme la députée conservatrice Ayaan Hirsi Ali, une jeune femme d'origine somalienne connue pour son combat contre l'islam et co-auteur du dernier film de Theo Van Gogh. La vie a repris son cours, mais le parlementaire est toujours protégé par plusieurs gardes du corps. Il dort chaque nuit dans un endroit différent et ne voit sa femme qu'une fois par semaine.
Au lendemain de la mort de Theo Van Gogh, sa popularité s'est envolée dans les sondages, atteignant 26 % d'intentions de vote. Depuis, sa cote est retombée à 9 % de sympathisants, mais Geert Wilders reste l'homme politique le plus cité par les médias néerlandais. Avec ses cheveux teints en blond platiné, il contraste avec l'uniformité de ceux qu'il appelle les « souris grises » du Parlement. Il veut s'imposer comme le leader fort auquel le pays aspire, lassé par la technocratie du pouvoir et des décennies de consensus. Pour l'heure, les différentes enquêtes d'opinion créditent son Parti de la liberté (PVV), fondé le 24 février 2006 (1), de 2 à 8 sièges au Parlement (sur un total de 150) si des élections législatives devaient se tenir dans l'année (elles sont prévues pour le 15 mai 2007).
Conscient de l'enjeu, le député travaille son image. Il a accepté, en 2004, d'être le premier homme politique néerlandais à se prêter au jeu de la télé-réalité, laissant la chaîne régionale de sa province, le Limbourg, filmer sa vie quotidienne et recueillir ses confidences trois mois durant. L'émission, diffusée lors des fêtes de Noël, a été un franc succès. Censée traiter exclusivement de sa personne, elle lui a tout de même permis de répéter à satiété son slogan de campagne contre le traité constitutionnel européen : « Les Pays-Bas doivent perdurer. »
Sa stratégie politique tient en un mot : la provocation. Quand il propose d'adopter dans son pays la détention administrative, sur le modèle de celle qui est déjà en vigueur en Israël - une pratique contestée par Amnesty International parce qu'elle consiste à mettre en prison des suspects sans inculpation ni jugement -, Geert Wilders n'a d'autre objectif que de frapper les esprits. Début février, alors que le débat provoqué par les caricatures du quotidien danois Jylland-Posten ne faisait pas encore de vagues aux Pays-Bas, il a publié les dessins controversés sur son site internet. Dans les jours qui ont suivi, il a reçu quarante nouvelles menaces de mort...
Curieusement, ses détracteurs ne se font guère entendre sur la place publique. Seules quelques voix se sont élevées, dans la société civile, pour lui reprocher de constamment jeter de l'huile sur le feu. Abou Menebhi, président d'une association marocaine d'Amsterdam, estime qu'il « ne fait qu'augmenter les tensions inter-ethniques dans le pays ». En profitant du mécontentement engendré par les partis traditionnels, Geert Wilders exploite le même filon que l'extrême droite partout ailleurs en Europe. À cette différence près qu'aux Pays-Bas, où quatre partis néo-fascistes se disputent un électorat marginal (jamais plus de 7 % de voix), il ne se situe pas dans les extrêmes et reste un simple « conservateur ».

Sabine Cessou - Comment vous définissez-vous dans le paysage politique néerlandais ?
Geert Wilders - J'appartiens à la droite conservatrice et je me suis donné pour mission de changer la façon dont on fait de la politique aujourd'hui. J'estime que dans de nombreux domaines - qu'il s'agisse de la société multiculturelle, des impôts, du nombre trop important de ministres au gouvernement, ou encore de la politique étrangère -, les Pays-Bas doivent radicalement évoluer. Peu importe que, après les législatives de 2007, je dispose de trois ou de vingt sièges au Parlement. Mon principal objectif consiste à ne faire aucune concession. À cause de notre mode de scrutin proportionnel, qui ne donne jamais une majorité claire au Parlement, ce sont toujours des coalitions de partis qui gouvernent. Or, pour travailler ensemble, ces partis doivent forcément faire des compromis. Eh bien, moi, je m'y refuse !
S. C. - Pour quelle raison ?
G. W. - Il n'y a pas de solution au milieu de l'échiquier politique. Il nous faut une volonté politique forte, capable d'assumer des mesures qui risquent d'être impopulaires.
S. C. - Êtes-vous d'accord avec l'étiquette de « populiste » qui vous est souvent associée ?
G. W. - Je ne suis pas populiste mais je n'ai pas honte d'être populaire. Et une chose est sûre : contrairement à la Liste Pim Fortuyn (LPF) - le parti estampillé « populiste » qui détient huit sièges au Parlement -, je ne ferai pas de compromis en acceptant de renoncer à des points essentiels de mon programme, comme la baisse des impôts sur le revenu, pour faire partie d'une coalition centriste.
S. C. - Vous considérez-vous comme un héritier de Pim Fortuyn ?
G. W. - Non, Fortuyn n'a pas d'héritiers. Je le respecte énormément. Il a fait beaucoup de bien, spécialement par sa façon de communiquer avec les électeurs et d'envisager la politique.
S. C. - Qu'est-ce qui explique, selon vous, le succès rencontré par les idées de Pim Fortuyn ?
G. W. - Un énorme fossé s'est creusé entre l'élite politique et de larges pans de l'électorat. L'an dernier, au Parlement, 130 députés sur 150 ont fait campagne en faveur du « oui » au projet de Traité constitutionnel européen. Et pourtant, comme vous le savez, les deux tiers de l'électorat ont voté non ! Ce décalage ne découle pas seulement de la politique conduite par la coalition au pouvoir. Sur des questions majeures, les Néerlandais ne se sentent pas représentés. Si Pim Fortuyn avait vécu, la LPF aurait fait beaucoup mieux.
S. C. - Vous dénoncez l'« islamisation de la société néerlandaise » et répétez que « les Pays-Bas sont pleins ». Pourquoi reprenez-vous sans cesse ces formules chocs popularisées par Pim Fortuyn ?
G. W. - N'oubliez pas que j'ai été un député du VVD. J'ai commencé à travailler au Parlement en 1990 en tant que conseiller de Frits Bolkestein, lui aussi député du VVD. Bien avant Pim Fortuyn, Frits Bolkestein a été le premier à critiquer …