Pierre Rigoulot - Jesus Zuñiga, vous êtes cubain, journaliste indépendant, et vous avez quitté votre pays il y a quelques mois. Qu'est-ce qui vous amène en France ?
Jesus Zuñiga - J'ai dû fuir mon pays en raison de mes activités de journaliste. On a aussi voulu me faire payer ma participation au livre de Jacobo Machover, Cuba, totalitarisme tropical, dont une version espagnole sous forme de cassette a commencé à circuler à Cuba. Mon départ est l'aboutissement d'une longue série de persécutions qui s'est terminée par un séjour de quelques semaines derrière les barreaux. Apparemment, mes reportages sur les aspects les moins reluisants de la réalité cubaine, comme la corruption, la drogue, la prostitution, les atteintes aux droits de l'homme ou la torture en milieu carcéral, avaient exaspéré le pouvoir. La drogue et la corruption, en particulier, sont des sujets tabous.
P. R. - Vous a-t-on signifié une expulsion en bonne et due forme ?
J. Z. - Un officier supérieur de la Sécurité d'État, « s'exprimant au nom de la plus haute autorité du pays », selon ses propres termes, m'a rappelé qu'il existait une loi n° 88 sur l'indépendance et la souveraineté de Cuba - loi connue parmi les journalistes et les opposants cubains comme la « loi bâillon ». Le choix était clair : soit j'allais croupir en prison pour une vingtaine d'années, soit je partais pour l'exil. Il ne plaisantait pas. D'ailleurs, il m'a fait dire, au moment même où je prenais l'avion, que je n'avais pas intérêt à revenir. La Sécurité s'imaginait peut-être qu'une fois arrivé en France j'allais me taire. C'était un mauvais calcul : j'ai continué à dénoncer la dictature et je continuerai à le faire tant qu'elle restera debout. Les circonstances m'ont probablement servi : le 11 septembre 2006 s'est ouvert à La Havane le sommet des non-alignés et les autorités ne voulaient pas de témoins « désagréables » susceptibles de faire passer à l'extérieur des informations « mettant en danger la sécurité du pays » et pouvant salir l'image de la révolution. Il ne faut surtout pas toucher à la virginité sacrée de la patrie !
P. R. - Cette réunion n'a pas eu autant d'importance que le gouvernement cubain l'a prétendu...
J. Z. - C'est vrai que les non-alignés ont beaucoup moins de poids politique qu'il y a quelques années. Le mouvement n'a plus rien à voir avec ce qu'il était du temps de Tito. Mais il devait y avoir sur place 1 000 ou 1 500 journalistes étrangers. Dans une situation délicate comme celle d'aujourd'hui, avec un Fidel Castro mourant et une crise sociale latente, le pouvoir s'est chargé de faire comprendre à l'opposition qu'elle devait rester tranquille. Deux dissidents ont disparu pendant quelques jours, et les autres ont été fermement priés de ne pas bouger de chez eux. Dans ces conditions, on ne peut que regretter l'attitude de Kofi Annan qui a cru bon de faire le déplacement et de cautionner cette réunion par sa présence, alors …
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