Les Grands de ce monde s'expriment dans

LENDEMAINS DE GUERRE A BEYROUTH

Président de la République pendant l'une des phases les plus sombres de la guerre civile libanaise (1982-1988), Amine Gemayel est rentré au Liban en juillet 2000, après une période d'exil de douze ans, en Europe et aux États-Unis. Il a immédiatement repris le flambeau de sa famille politique, les Kataëb (phalanges), fondées par son père Pierre Gemayel dans les années 1930 et rendues célèbres par son frère, Béchir Gemayel, élu président en 1982 et victime, peu après, d'un attentat attribué à Damas. Son expérience de chef d'État le positionne naturellement comme l'un des leaders des chrétiens, même si ses prises de position dépassent largement le cadre de sa communauté.Depuis son retour, il dirige à nouveau le parti Kataëb, qui avait été noyauté par la Syrie pendant plus d'une décennie ; mais il a chargé l'un de ses deux fils, Pierre, de briguer les mandats électoraux. Ce dernier a été élu (en 2000 puis en 2005) député du Metn, au Mont-Liban, et il a en charge le portefeuille de l'Industrie au sein du gouvernement formé au printemps 2005, après le départ des troupes syriennes. Le clan Gemayel appartient en effet à la coalition anti-syrienne - baptisée Forces du 14 Mars (1) - qui souhaite tourner définitivement la page de la tutelle de Damas sur le « pays du Cèdre ». Une tutelle qui a formellement pris fin en avril 2005, sous la pression de la rue libanaise et de la communauté internationale.
L'ex-président a participé, aux côtés de treize autres dirigeants représentant les principales forces politiques du Liban, à la Conférence dite de « dialogue national » lancée le 2 mars 2006. Cette Conférence était destinée à jeter les bases d'une nouvelle entente inter-libanaise. Mais le processus a été brutalement interrompu au lendemain de la capture de deux soldats israéliens par le Hezbollah, le 12 juillet dernier, événement déclencheur d'une offensive israélienne contre le « parti de Dieu » qui s'est transformée en guerre contre le Liban tout entier.
Amine Gemayel a, d'emblée, condamné ce rapt. Pour lui, il s'agit d'un acte de guerre unilatéral du Hezbollah qui a engagé tout le Liban, à son corps défendant, dans une guerre meurtrière. L'ancien président de la République plaide aujourd'hui pour un retour à l'armistice de 1949 avec Israël, conclu à l'issue de la première guerre israélo-arabe - c'est-à-dire une trêve qui pourrait devenir une paix définitive une fois que les autres conflits impliquant l'État hébreu seront réglés. Dans le même temps, il réclame le désarmement de la milice chiite.

Sibylle Rizk - Qui a gagné la guerre de cet été, selon vous ?
Amine Gemayel - La Syrie et l'Iran. Ces deux pays ont perçu les dividendes d'un conflit au cours duquel les Libanais en général, et les militants du Hezbollah en particulier, ont servi de chair à canon. Les enjeux dépassent le Liban : ce petit pays est la victime du bras de fer qui oppose au Moyen-Orient la stratégie irano-syrienne à celle de Washington et de ses alliés. La résistance acharnée que le Hezbollah a livrée à Tsahal pendant trente-trois jours de combats a donné à réfléchir à Israël et aux États-Unis. Damas et Téhéran ont envoyé à l'administration Bush ce message : « Voyez ce que nous sommes capables de faire en cas d'agression. »
S. R. - Pourtant, une partie du Liban, celle qui soutient le Hezbollah, affirme, elle aussi, avoir gagné...
A. G. - Ce n'est pas la position de la majorité des Libanais. Ceux-ci considèrent que leur pays a payé trop cher pour une guerre dont les enjeux étaient ailleurs. Mes compatriotes sont favorables à la stricte application de l'accord de Taëf (2) - un texte que les députés libanais ont adopté à l'unanimité en 1989 et qui stipule le retour à l'accord d'armistice conclu entre le Liban et Israël en 1949. Au printemps dernier, le Hezbollah paraissait vouloir jouer le jeu de l'accord de Taëf et privilégier les options libanaises au détriment de ses alliances avec la Syrie et l'Iran. Mais, en réalité, il maintenait sciemment la confusion quant à ses intentions réelles. Il a appliqué la stratégie du « oui, mais... », où le « mais » neutralise pratiquement le « oui ». Le Hezbollah pratique couramment cette diplomatie du « oui, mais... ». À la veille de la dernière guerre, il avait donné son aval public et officiel au plan visant à instaurer un cessez-le-feu durable que le président du Conseil, Fouad Siniora, avait présenté à la conférence de Rome (3) ; « mais », en même temps, il déclarait à huis clos que ce « oui » était hypothétique et se réservait le droit de se rétracter lors de la discussion de chaque élément de ce plan. Même chose lorsqu'il a donné son aval au projet de la résolution 1701 du Conseil de sécurité de l'ONU (4)... « mais » avec la ferme intention de n'appliquer, le moment venu, que les clauses qui lui conviennent. Déjà, lors de la Conférence sur le dialogue national, au printemps dernier, il nous avait fait croire qu'il était d'accord pour garantir un été calme et propice au tourisme et à l'économie nationale ; et puis, sans crier gare, le 12 juillet, il a pris l'initiative de forcer la ligne frontalière. Ses militants ont tué quelques soldats israéliens et en ont capturé deux, sous le prétexte de les échanger contre deux ou trois prisonniers libanais ; et voilà que la guerre était déclenchée. Résultat : la saison estivale, très prometteuse, a été proprement anéantie. …