Mehmet Ali Talat, né en 1952 à Kyrénia, dans le nord de Chypre, est l'« homme fort » de la communauté chypriote turque. Grâce à la victoire, aux législatives de décembre 2003, de sa formation politique de centre gauche, le Parti républicain turc, il devient en janvier 2004 premier ministre, puis en avril 2005 président de la « République turque de Chypre Nord » (« RTCN ») en remplacement de Rauf Denktah (1). À la suite de l'intervention militaire turque de juillet 1974, justifiée, selon Ankara, par le coup de force des colonels grecs contre Mgr Makarios, alors président de Chypre, a été créée la « RTCN ». Reconnue par la seule Turquie, sa proclamation d'indépendance a été déclarée nulle et non avenue par la résolution 541 du Conseil de sécurité de l'ONU du 18 novembre 1983 (2). Pour mettre fin à la division de l'île, le secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan (3), avait proposé en novembre 2002 un plan de réunification. Soumis à l'approbation des deux communautés par référendum le 24 avril 2004 (4), le texte fut adopté par la communauté chypriote turque mais rejeté par la communauté chypriote grecque. Cette dernière considérait que le plan Annan consacrait une réunification artificielle en maintenant, en fait, deux États quasi indépendants l'un de l'autre. Partisan de ce plan de paix qui aurait permis de mettre fin à l'isolement économique du nord de Chypre (5), M. Talat s'efforce de surmonter cet échec et d'encourager les contacts entre les deux communautés.
Depuis l'ouverture, en avril 2003, de la ligne verte séparant la zone libre de la zone occupée, les échanges de toutes sortes se sont multipliés. C'est ainsi que sept mille Chypriotes turcs franchissent chaque jour cette ligne de démarcation pour travailler au sud de l'île et que de nombreux Chypriotes grecs, chaque fin de semaine, se rendent à Kyrénia et autres lieux touristiques du Nord dont l'accès leur était interdit depuis 1974. Sur le plan financier, le gouvernement de Nicosie a accepté que l'Union européenne, dont Chypre est membre depuis le 1er mai 2004, verse en 2006 à la communauté chypriote turque une aide de 139 millions d'euros (6). Dans un tout autre domaine, Chypriotes grecs et Chypriotes turcs ont entrepris le déminage des zones limitrophes de la ligne verte. Mais le climat de méfiance est loin d'être entièrement dissipé. Les Chypriotes grecs soupçonnent les Chypriotes turcs de vouloir maintenir, sous couvert d'une réunification de façade, l'actuelle division de l'île et de mettre en place un État de type « Taiwan » qui se développerait de façon autonome par rapport à la République de Chypre. De leur côté, les Chypriotes turcs accusent le gouvernement de Nicosie de refuser un partage du pouvoir et de poursuivre une politique européenne au seul bénéfice des Chypriotes grecs.
S'agissant du règlement politique, une divergence d'approche continue d'opposer les deux communautés. La partie chypriote grecque, hostile à une réunification précipitée et non viable (7), exclut toute solution impliquant le maintien de l'armée turque en territoire chypriote. La partie chypriote turque, elle, ne veut pas renoncer à la présence des soldats turcs et souhaite une solution rapide et globale. Le 8 juillet 2006, après plus de deux ans d'absence de contacts, Tassos Papadopoulos, le président de la République de Chypre, et Mehmet Ali Talat se sont rencontrés à Nicosie sous les auspices de l'ONU et sont convenus de revenir à la table des négociations afin d'améliorer la vie quotidienne des Chypriotes et d'oeuvrer à la réunification. Les prochains mois pourraient donc voir des avancées décisives dans le règlement d'un différend qui empoisonne, depuis plus de quarante ans, les relations entre la Grèce et la Turquie.
Jean Catsiapis - Vous avez rencontré M. Papadopoulos le 8 juillet dernier. Qu'en est-il ressorti ?
Mehmet Ali Talat - Ma rencontre avec le leader chypriote grec Tassos Papadopoulos a été d'autant plus remarquée que, pendant deux ans, celui-ci avait refusé de me voir. Au cours de cette entrevue, nous sommes tombés d'accord sur un « ensemble de principes » et sur une « décision des deux leaders » (8). Mais n'entrons pas dans le détail. Ce qui est clair, pour l'heure, c'est que des comités techniques seront mis en place pour discuter des problèmes quotidiens qui affectent la vie des Chypriotes turcs et des Chypriotes grecs ; et puis, parallèlement, des groupes d'experts seront constitués pour aborder les questions de fond. Cela dit, il ne faut pas attendre de miracles : aucune amélioration n'est intervenue depuis notre rencontre de juillet. Nous en sommes toujours à discuter de questions de procédure (9) ! Personnellement, je souhaite que cette phase se termine au plus vite afin que nous puissions aller de l'avant. La balle est dans le camp de M. Papadopoulos.
J. C. - Quelles propositions concrètes avez-vous à formuler ?
M. A. T. - Que les choses soient claires : il n'y a pas d'autre base de discussion possible que le plan Annan. Bien que la partie chypriote grecque prenne soin de ne jamais y faire référence, il est incontournable. Ce plan est le point d'aboutissement de plus de quarante années de négociations, de résolutions des Nations unies et d'accords. Il a d'ailleurs été approuvé, je vous le rappelle, par 65 % des Chypriotes turcs et il n'y a aucune raison pour qu'ils changent d'avis. On sait qu'à terme on aboutira à la formation d'un État bi-zonal et fédéral. Les deux communautés seront traitées sur un pied d'égalité sur le plan politique et les deux États constituants seront dotés des mêmes prérogatives.
J. C. - Les Chypriotes grecs mettent en doute votre volonté de réunification et vous accusent de vouloir faire de la partie nord de Chypre un nouveau Taiwan. Que leur répondez-vous ?
M. A. T. - J'ai pris fait et cause pour le plan Annan, qui était un plan de réunification de l'île. Que voulez-vous de plus ? Je suis persuadé que Chypriotes grecs et Chypriotes turcs peuvent vivre en paix. C'est aux Chypriotes grecs de prouver qu'ils sont pour la réunification car ce sont eux qui ont rejeté le plan Annan.
J. C. - Vous savez bien que si les Chypriotes grecs ont rejeté le plan Annan, c'est parce que ce texte prévoyait le maintien à Chypre de soldats turcs...
M. A. T. - Ne croyez pas cela. Est-ce que les Chypriotes grecs disent aujourd'hui qu'ils acceptent le plan Annan si l'armée turque s'en va ? Non, ils disent qu'ils ne veulent plus entendre parler du plan Annan ! Les Chypriotes grecs essaient de mystifier l'opinion publique internationale. La vérité, c'est qu'ils ne tiennent pas à partager le pouvoir. Vous me parlez de l'armée turque, mais pourquoi …
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