Adil Abdel Madi, le vice-président chiite de l'Irak, est né en 1948 à Bagdad, mais il a passé la plus grande partie de sa vie à l'étranger. Cet intellectuel fut brièvement maoïste, puis baasiste, avant de devenir un opposant déclaré au régime de Bagdad. Membre depuis sa jeunesse du Conseil suprême de la révolution islamique en Irak (CSRII) (1), il appartient à la « tendance arabe » de cette organisation. En clair, à la mouvance qui n'est pas liée à l'Iran. En 1969, il est déchu de sa nationalité par le pouvoir irakien, qui l'accuse de « complot contre l'État ». C'est alors qu'il part pour la France, où il continue de se consacrer au CSRII tout en effectuant de brillantes études. Diplômé de sciences politiques et de sciences économiques, il enseigna longtemps à Saint-Étienne, où réside toujours sa famille et où il se rend régulièrement. Il a aussi, dans sa « période française », assuré la présidence de l'Institut français des études islamiques, à Paris. En 1990, il s'installe en Iran pour des raisons liées à ses activités au sein du CSRII. Mais, deux ans plus tard, il quitte la République islamique et s'établit au Kurdistan irakien. Il devient alors un responsable de haut rang du CSRII... avant de revenir en France. Il rentre en Irak quelques jours après la chute de Saddam Hussein, au printemps 2003, après avoir soutenu l'intervention américaine, et est immédiatement nommé ministre des Finances dans le cabinet Allaoui. Contrairement au chef du CSRII, Abdel Aziz al-Hakim - un homme très proche de Téhéran -, Abdel Madi n'a pas l'appareil chiite derrière lui. C'est sans doute pour cette raison qu'il n'a pas été nommé premier ministre dans le premier gouvernement de l'Irak de l'après-Saddam... Son accession aux plus hautes fonctions n'est que partie remise puisque, à l'issue des élections législatives de décembre 2005 (2), il est nommé vice-président (3).
Adil Abdel Madi a la réputation d'un homme très ouvert, y compris dans le domaine religieux (il buvait encore de l'alcool il y a une dizaine d'années, fait rare pour un membre du CSRII). Respecté par les chiites mais également par les sunnites et par les Kurdes, il est, par surcroît, bien vu des Américains, qui apprécient son pragmatisme. De plus, il s'entend relativement bien avec les Français. Quant à ses détracteurs, ils lui reprochent d'être opportuniste et de toujours se placer dans le courant dominant... Mais il est vrai qu'ils ne sont pas nombreux !
Isabelle Lasserre - Qu'est-ce qui a changé en Irak depuis l'élimination d'Abou Moussab Al-Zarqaoui, le 9 juin dernier (4) ?
Abdel Madi - La mort de Zarqaoui, qui était le chef d'Al-Qaïda dans ce pays, constitue un événement très important. Ne serait-ce que parce que son élimination a prouvé que les forces de sécurité multinationales et irakiennes sont désormais capables d'infiltrer les réseaux terroristes. Reste à savoir ce que sa disparition va changer sur le fond. Les représentants d'Al-Qaïda en Irak sont aujourd'hui divisés quant aux méthodes à employer. Certains d'entre eux souhaitent concentrer leurs attaques sur les étrangers et sur les représentants du pouvoir ; d'autres, en revanche, veulent s'en prendre à la société tout entière. Comme vous le savez, Zarqaoui appartenait à cette seconde catégorie. Son successeur (5) le suivra-t-il dans cette voie ? Ou bien va-t-il opter, au contraire, pour la tactique qu'Al-Qaïda a adoptée en Afghanistan - c'est-à-dire viser les étrangers mais épargner les simples citoyens ? Il est encore trop tôt pour le dire avec certitude. Mais une chose est certaine : en Irak, l'immense majorité de la population rejette le terrorisme aveugle dont Zarqaoui avait fait sa marque de fabrique.
I. L. - Pourtant, la violence n'a pas baissé d'intensité depuis la liquidation de Zarqaoui...
A. M. - L'escalade de la violence qu'on a constatée cet été est une réaction de la guérilla à l'offensive majeure que le gouvernement a lancée il y a plusieurs mois pour tenter de restaurer la sécurité (6), spécialement à Bagdad. De plus, après la mort de Zarqaoui, les insurgés ont immédiatement voulu montrer qu'ils étaient toujours actifs, même si leur chef n'était plus là pour les guider. Enfin, je pense que la recrudescence de la brutalité et de la barbarie est due, en bonne partie, au fait que les djihadistes ont besoin de se trouver à la « Une » des médias. Le retentissement que la télévision et les journaux donnent à leurs actes est très important à leurs yeux : il s'agit d'une sorte de « publicité gratuite » qu'ils utilisent pour répandre la peur et le chaos dans tout le pays.
I. L. - Concrètement, que faut-il faire, au niveau militaire et politique, pour mettre fin à ce chaos ?
A. M. - Les terroristes nous livrent une guerre totale. Une guerre sans limites et même sans but précis. En réalité, leur credo, c'est « la terreur pour la terreur »! Les anciens séides de Saddam et des guérilleros originaires de l'étranger (Syrie, Maghreb, Afghanistan...) se sont alliés pour semer le désordre. Ce sont eux, les véritables responsables de toute la violence en Irak. Car si la vague de terreur qu'ils ont déclenchée s'arrête, je suis persuadé que les violences d'ordre social - et même celles d'ordre politique - prendront fin à leur tour. On parle beaucoup de violences interconfessionnelles ; mais les chiites et les sunnites vivent depuis des siècles sur ce territoire, et ils n'ont pas toujours entretenu des rapports d'hostilité, loin de là. …
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