Les Grands de ce monde s'expriment dans

TURQUIE-EUROPE : LE DESAMOUR

Le coeur n'y est plus. Un peu moins d'un an après l'ouverture des négociations d'adhésion, le 3 octobre 2005, les relations turco-européennes s'enlisent dans un climat de désenchantement mutuel. Déçus par ce qu'ils ressentent comme l'hostilité viscérale d'une majorité d'Européens à une future intégration de leur pays, les Turcs s'abandonnent à un euroscepticisme sans précédent. Selon la dernière enquête Eurobaromètre publiée au printemps dernier, ils sont à peine 44 % à estimer que l'adhésion serait une bonne chose. « C'est comme une femme que l'on a courtisée désespérément pendant des années et des années pour finalement réaliser qu'elle s'est bien défraîchie entre-temps », ironise un étudiant en management de la prestigieuse université Bilkent d'Ankara.Si l'opinion doute, le parti au pouvoir (issu du mouvement islamiste) qui avait fait de l'Europe « la priorité de ses priorités » paraît, quant à lui, traîner les pieds. De son côté, Bruxelles épingle l'« essoufflement dans le rythme des réformes ». Un rapport très polémique de la commission des affaires étrangères du Parlement européen dénonçait, début septembre, les « progrès insuffisants » en matière de liberté d'expression et de droits des minorités.
« Aucune réforme significative n'a été engagée depuis juin 2004. Un nouveau paquet de réformes d'harmonisation - le neuvième - est désormais sur la table et devrait être bientôt voté, mais il n'en reste pas moins que depuis deux ans le gouvernement n'a apparemment pas senti la nécessité de poursuivre ses efforts », accusait cet été Hansjorg Kretschmer, chef de la délégation de la Commission européenne en Turquie (1). Ces critiques sont relayées en Turquie même par les secteurs les plus pro-européens de la société civile. Aldo Kaslowski, responsable des relations internationales de la TUSIAD, la plus prestigieuse des associations d'industriels et hommes d'affaires turcs n'hésite pas à dénoncer le « désintérêt » dont font preuve, à l'égard du dossier européen, le gouvernement de Recep Tayyip Erdogan et son parti l'AKP (Parti de la justice et du développement) depuis l'ouverture formelle des négociations d'adhésion (2).
Le feu vert obtenu en octobre 2005 avait été salué par Ankara comme un « tournant historique » et une victoire arrachée de haute lutte après plus de quarante ans de piétinement au seuil de la CEE puis de l'UE. La Turquie a entamé très concrètement le long processus qui doit mener à l'intégration des quelque 80 000 pages de l'acquis communautaire. Avant l'été, elle avait même déjà réussi à clore le premier des trente-cinq chapitres, consacré à la science et à la recherche. Il s'agissait du plus facile, car ce domaine comporte très peu de lois européennes à transposer dans la législation turque. La Commission avait d'ailleurs choisi à dessein de commencer par là afin d'encourager les Turcs dans le long et difficile chemin de la négociation. Ce premier résultat positif n'a pourtant pas suffi à dissiper le vague à l'âme ambiant. Ni parmi les Européens qui s'interrogent de plus en plus sur la réelle volonté d'aller de l'avant de l'AKP. Ni surtout parmi les Turcs qui …