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ISRAEL-PALESTINE: PLAIDOYER POUR UNE SEPARATION

Avigdor Lieberman est devenu, en quelques années, l'une des personnalités politiques à la fois les plus controversées et les plus populaires d'Israël. Chef du parti Israël Beitenou (Israël notre maison), il a profité de la crise de confiance suscitée dans l'opinion publique israélienne par la gestion de la guerre contre le Hezbollah pour se forger une image de sauveur (1). Ses propos violents sur les Arabes et les « ennemis d'Israël » ont parfois choqué, mais lui ont valu une réputation de leader à poigne, seul capable de garantir la sécurité d'Israël face au double défi du terrorisme et de la démographie. L'échec de la guerre de l'été 2006 contre le Hezbollah et la montée de la menace iranienne ont encore renforcé sa posture d'homme providentiel. Père de trois enfants, ce colosse au fort accent russe est né en 1958 en Moldavie, dans l'ex-Union soviétique. Venu s'établir en Israël à l'âge de vingt ans, en 1978, il obtient un diplôme en relations internationales à l'université de Jérusalem. Nommé chef de cabinet de Benyamin Netanyahou en 1996, il ne tarde pas à s'imposer comme l'une des personnalités les plus influentes du Likoud. Lieberman reconstruit méthodiquement le parti jabotinskien avant de devenir, en 1994, directeur général du Bureau du premier ministre. En 1999, après une brève incursion dans le secteur privé, il fonde un nouveau parti nationaliste, résolument situé à droite, Israël Beitenou. Cette formation, qui remporte un franc succès auprès des immigrés fraîchement débarqués d'ex-URSS, décroche la même année quatre sièges au Parlement. Lieberman rejoint peu après le gouvernement d'Ariel Sharon au poste de ministre des Infrastructures puis de ministre des Transports. Aux élections de 2003, il scelle avec les partis Moledet (Patrie) et Tekuma (Résurrection) une alliance qui lui rapporte sept nouveaux parlementaires.
Vivement opposé au retrait unilatéral de Tsahal de la bande de Gaza, Lieberman quitte le gouvernement en juin 2004. Parallèlement, il lance un pavé dans la mare en proposant un plan de règlement du conflit israélo-palestinien. Le but consiste à séparer définitivement Juifs israéliens et Arabes palestiniens et à tracer une frontière claire entre les deux États. Ce plan, dont on retrouve les grandes lignes dans son ouvrage, My Truth, repose sur trois éléments :
- un échange de populations et de territoires : les zones originellement arabes d'Israël, comme Umm El-Fahm, le « triangle » (2) et Wadi Arra, passeraient sous le contrôle de l'Autorité palestinienne, tandis que les principales colonies juives de Cisjordanie - Ariel, Gush Etzion et Ma'aleh Adumim - seraient officiellement annexées.
- un accord bilatéral entre l'État d'Israël et l'Autorité palestinienne, sous le parrainage du Quartet (ONU, États-Unis, Union européenne, Russie), de l'Égypte et de la Jordanie, qui sanctionnerait la création d'un État palestinien souverain à côté de l'État d'Israël, reconnaîtrait les nouvelles frontières internationales séparant les deux États et mettrait fin au contentieux territorial.
- l'adoption d'une nouvelle loi sur le droit de la nationalité, qui imposerait à tous les citoyens israéliens de prêter allégeance à l'État d'Israël, aux principes de la proclamation d'Indépendance, au drapeau et à l'hymne national. Tous ceux qui refuseraient de se conformer à ces principes et d'effectuer leur service national, militaire ou civil, seraient déchus de la citoyenneté israélienne. Ils se verraient reconnaître un statut de « résidents permanents » et bénéficieraient des mêmes droits et des mêmes obligations que les Israéliens, à l'exception du droit de voter aux élections nationales.
Aujourd'hui, Israël Beitenou est, en nombre de sièges à la Knesset, le deuxième parti d'opposition du pays. Il talonne le Likoud, qui ne compte qu'un député de plus. La formation d'Avigdor Lieberman a su tirer profit de la lutte fratricide qui oppose le parti du premier ministre Ehoud Olmert - Kadima - au Likoud de Benyamin Netanyahou pour s'imposer comme le pivot de la scène politique israélienne. Un accord a été conclu en novembre 2006 entre Israël Beitenou et Kadima aux termes duquel, contre l'abandon du projet gouvernemental de retrait unilatéral de Cisjordanie, Lieberman accepte de réintégrer le cabinet en qualité de vice-premier ministre chargé des Affaires stratégiques. À ce poste hautement sensible, il aura notamment en charge la gestion du dossier iranien.
A. d. V.

Alexandre del Valle - Vous avez été nommé, en novembre 2006, vice-premier ministre dans le gouvernement d'Ehoud Olmert. Pour quelle raison avez-vous décidé de rejoindre cette équipe ?

Avigdor Lieberman - Mon objectif est d'introduire un réel changement dans la vie politique israélienne. En acceptant cette charge, je mesure les risques que je prends car mon électorat n'aime pas ce gouvernement. Mais, au final, ce sont les citoyens d'Israël qui auront le dernier mot : ils me jugeront sur mes résultats et choisiront, en toute connaissance de cause, de voter ou de ne pas voter pour mon parti.

A. d. V. - Pendant la guerre contre le Hezbollah au Liban, vous avez exprimé de vives critiques à l'encontre du gouvernement Olmert dont vous faites désormais partie. Comment avez-vous réussi à faire taire vos réticences ?

A. L. - Au lendemain de la guerre de cet été, j'ai été confronté à un dilemme : devais-je m'engager dans une épreuve de force et provoquer de nouvelles élections, ce qui aurait plongé le pays dans une période d'incertitude et d'attentisme, ou bien devais-je, au contraire, rejoindre les rangs du gouvernement ? Comme vous le savez, j'ai opté pour la seconde solution. J'estime avoir fait le bon choix pour la nation, même si je ne suis pas sûr d'en tirer un quelconque bénéfice électoral. Ma présence au sein du cabinet va permettre au pays de se ressaisir et de préparer sereinement le prochain round contre le Hezbollah. À mon avis, les hostilités ne vont pas tarder à reprendre.

A. d. V. - Pardonnez-moi d'insister, mais n'aurait-il pas été plus cohérent de rester à l'écart d'un gouvernement contre lequel, il y a quelques mois à peine, vous n'aviez pas de mots assez durs ?

A. L. - Je vous l'ai dit : si j'ai accepté de participer à ce gouvernement, c'est que j'espère peser sur ses orientations politiques. L'une des seules conditions que j'ai posées au premier ministre Ehoud Olmert était qu'il abandonne le « plan de convergence » (3) et il l'a fait.

A. d. V. - Pourquoi avez-vous créé un nouveau parti alors que le Likoud existe déjà et qu'il se réclame des mêmes idées que vous ?

A. L. - Il y avait place pour un vrai parti de droite en Israël dans la mesure où de nombreux partis défendent des positions « de droite » sur certains sujets, par exemple sur les problèmes de « restitution de territoires », mais s'en écartent en matière économique ou sociale.

A. d. V. - Qu'est-ce qui vous distingue des autres partis de droite ?

A. L. - Nous sommes pour l'économie de marché et pour les privatisations. Mais, à la différence du Likoud, nous voulons accompagner ces mutations d'une politique sociale plus humaine. Nous reprochons au Likoud et à M. Netanyahou d'avoir rompu avec les valeurs fondatrices du mouvement créé par Jabotinsky (4), ce que l'on a appelé les « cinq M » : nourriture, logement, soins médicaux, éducation et habillement (5). Ces cinq …