Réputée pour son franc-parler, celle que l'on surnomme parfois la « dame de fer de la Baltique » a bien voulu accorder un entretien exclusif à Politique Internationale, dans lequel elle évoque son parcours ainsi que sa vision des enjeux internationaux actuels.
C. B.
Céline Bayou - Madame la Présidente, votre parcours est assez atypique : après avoir passé cinquante-quatre ans en exil, vous décidez de rentrer en Lettonie en 1998. Pourquoi ?
Vaira Vike-Freiberga - C'était dans la logique des choses : mes parents, qui ont quitté Riga trois jours avant l'arrivée des Soviétiques, fuyaient une occupation étrangère dont ils espéraient alors qu'elle serait temporaire. Leurs propres parents avaient eu à le faire durant la Première Guerre mondiale. En 1944, les gens pensaient que le même scénario se reproduirait et qu'à la fin des hostilités les trois pays baltes recouvreraient leur liberté. La déception fut immense. Et lorsque ces réfugiés ont vu que non seulement on permettait à l'Armée rouge de conserver les territoires qu'elle avait occupés à la fin de la guerre, mais que, en Allemagne par exemple, on lui en cédait d'autres, ils ont éprouvé un grand choc. Mes parents et moi étions réfugiés au Mecklembourg : libérée par les Britanniques, cette région a néanmoins été attribuée aux Soviétiques. Pourquoi ? Mystère et boule de gomme ! Nous avons grandi avec le souvenir de cette injustice et avec la certitude que l'Histoire devrait, tôt ou tard, la rectifier.
C. B. - Vous n'avez donc jamais douté de la restauration de l'indépendance ?
V. V.-F. - En 1968, à Montréal, on m'a invitée à prononcer une allocution à l'occasion de la célébration du 18 novembre (1). Dans ce discours, j'ai dit : « Même si la division du monde entre l'Est et l'Ouest semble figée pour toujours, même si la situation paraît totalement sans issue, il faut continuer de croire en une Lettonie libre. Un jour, le droit et la justice finiront par triompher. Un jour, l'empire soviétique s'écroulera de lui-même. Il s'écroulera de l'intérieur, j'en suis convaincue. Ce n'est qu'une question de temps ! »
Cela a pris plus de temps que je l'aurais voulu. Mais il a bel et bien fini par s'effondrer...
C. B. - Quel est le déclic qui pousse un professeur de psychologie de l'université de Montréal non seulement à rentrer dans son pays mais à en devenir présidente ?
V. V.-F. - À cette époque, je n'imaginais évidemment pas un tel destin. Pendant des années, je me suis impliquée dans des mouvements de jeunes. Des intellectuels, des artistes, des gens intéressés par la politique organisaient des cours d'été destinés à des jeunes d'origine lettone installés au Canada, mais aussi aux États-Unis, en Europe ou en Amérique latine. Il s'agissait d'implanter en eux le sens de la « lettonité », de leur inculquer quelques rudiments de linguistique et, surtout, de créer une atmosphère de stimulation intellectuelle qui rende attrayante l'idée d'appartenance à la communauté lettone.
Les premiers exilés s'étaient juré de ne jamais oublier leur patrie. Mais, les décennies passant, vous comprenez bien que les jeunes qui étaient nés et qui grandissaient dans un autre milieu avaient de plus en plus de mal à préserver ce lien. Leur reprocher d'être différents de leurs parents n'était pas la …
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