Les Grands de ce monde s'expriment dans

LENDEMAINS DE PUTSCH A BANGKOK

Le 19 septembre, en fin d'après-midi, les centaines de petits commerçants qui tiennent des échoppes près du monument de la Victoire, dans le nord de Bangkok, reçoivent une visite inhabituelle. Des soldats en tenue de camouflage passent parmi les étals et les vendeurs ambulants de soupe aux nouilles, demandant poliment à chacun de plier bagage et de rentrer chez soi. Intuitivement, les marchands comprennent que la longue crise politique déclenchée le 23 janvier 2006 par la vente de la firme familiale du premier ministre Thaksin Shinawatra, Shin Corp, à la société singapourienne Temasek est en train de se dénouer. Ils obtempèrent. Deux heures plus tard, plusieurs colonnes de chars d'assaut M-41, venues de l'est, empruntent l'avenue et contournent le monument pour se diriger vers l'îlot Ratanakosin, le quartier historique de Bangkok. Dès 21 heures, des tanks encerclent la Maison du gouvernement ; d'autres sont stationnés sur la place Royale, face à la statue équestre du roi Rama V, ou contrôlent les principaux carrefours de la capitale. À 22 heures, le premier ministre, qui se trouve à New York pour participer à l'Assemblée générale des Nations unies, proclame sur Channel 9 - l'une des chaînes de télévision thaïlandaises que contrôle le gouvernement - l'instauration de l'état d'urgence dans le pays et ordonne au général Sonthi Boonyaraklin, chef de l'armée de terre, de se soumettre immédiatement au vice-premier ministre Chidchai Vanasathit, en charge du gouvernement en l'absence de Thaksin. Réaction trop tardive. Planifiée sept mois à l'avance, la partie est déjà gagnée par les militaires. Ceux-ci ont, en effet, réussi à neutraliser la police, l'un des principaux soutiens de Thaksin, lui-même ancien lieutenant-colonel de police. La longue crise politique qui a secoué le royaume et divisé le pays depuis janvier 2006 n'est pas terminée pour autant. Elle vient simplement de connaître l'un de ses plus spectaculaires rebondissements. La Thaïlande renoue avec une vieille tradition : celle de la patiwat (révolution), c'est-à-dire le renversement d'un régime civil corrompu par l'armée.
L'aboutissement de cinq années de « thaksinisme »
Un leadership autoritaire
Thaksin Shinawatra, un richissime magnat des télécommunications entré en politique au début des années 1990, a été le premier chef de gouvernement élu dans le cadre de la Constitution d'octobre 1997, considérée comme la plus libérale que la Thaïlande ait connue. Cette Constitution - que la classe politique, forcée de se soumettre aux demandes populaires après la profonde crise économique de 1997, n'avait adoptée qu'à contrecoeur - devait pallier les multiples faiblesses chroniques de la vie politique thaïlandaise : instabilité des gouvernements, fragiles coalitions de groupes d'intérêts divers ; étroite imbrication entre milieux d'affaires et cercles politiques ; concussion très répandue dans la fonction publique et au sommet de l'État. Le texte visait également à améliorer la représentativité des organes politiques, notamment en instaurant un Sénat élu et, théoriquement, apolitique. Plus généralement, il s'agissait d'encourager la participation de la population à la vie publique.
L'un des éléments clés de cette opération visant à renforcer l'État de droit était la nomination par le …