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LES VRAIS MAITRES DE LA CHINE

Joris Zylberman - Comment définiriez-vous le système politique chinois ?

Jean-Luc Domenach - Je dirais qu'il s'agit d'un régime « autoritaire aléatoire ». La Chine n'est plus un pays « totalitaire » comme à l'époque de Mao Zedong. C'en est fini de la volonté de modifier la réalité humaine. Les membres du Parti ne sont même plus tenus de croire à l'idéologie marxiste. Surtout, le monopole de l'organisation économique et idéologique a pris fin. Dans les milieux universitaires et journalistiques, pratiquement toutes les idées sont désormais les bienvenues.

J. Z. - En quoi est-il « aléatoire » ?

J.-L. D. - Il est « aléatoire » dans la mesure où le pouvoir ne contrôle pas tous les aléas économiques et sociaux ni tous ses propres aléas factionnels ; il y a une part de hasard. Le gouvernement a conclu un pacte avec la population : il attend d'elle l'obéissance politique en échange d'une augmentation des revenus, le tout fondé sur une croissance annuelle de 10 %. Mais cette croissance repose aussi sur l'évolution du marché mondialisé.

J. Z. - Dans ces conditions, qui gouverne la Chine ? Est-ce toujours le Parti ou l'économie ?

J.-L. D. - Les deux, dans la mesure où le Parti reconnaît à l'économie un rôle primordial dans la modernisation du pays et qu'il se plie chaque fois que nécessaire aux impératifs économiques, qu'il s'agisse du respect des accords avec l'OMC, des approvisionnements pétroliers ou de la protection des marchés. Mais, sur le plan institutionnel, il est clair que le Parti gouverne de manière absolue les domaines où il continue d'exercer un monopole. Il a perdu la mainmise sur l'organisation économique et l'idéologie, mais il conserve le monopole du pouvoir politique, de la violence et de la représentation internationale. Depuis quelques années, il a reçu le renfort d'une catégorie sociale inattendue, qu'il a d'ailleurs en partie engendrée : les chefs d'entreprise, dont il protège les prédations. De ce point de vue, la Chine est fort comparable à la France de Napoléon III telle que Karl Marx l'a décrite. Mais il y a bien sûr des variations entre les politiques et les entrepreneurs, que les mariages, les choix professionnels des enfants et les collusions diverses sont censés réduire. Le Parti souffre aussi de faiblesses internes : le recul de l'idéologie marxiste et la contamination par les aspirations de la société, une organisation trop complexe qui laisse un pouvoir exagéré aux échelons locaux ; et des difficultés de recrutement dans certains milieux techniques ou financiers et dans les quartiers neufs des villes. Mais ces difficultés ne se reflètent pas dans les chiffres globaux : le Parti comptait environ soixante-dix millions de membres en novembre 2006, soit 2,4% de plus que l'année précédente.

J. Z. - Lorsque vous dites que le Parti reste aux commandes, s'agit-il réellement du Parti ou de l'État ?

J.-L. D. - L'État n'est rien d'autre qu'une projection du Parti. La plupart des dirigeants et même les responsables aux niveaux moyens sont membres du PC. …