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QUE RESTE-T-IL DE LA REVOLUTION ORANGE?

Depuis la « révolution orange » de 2004, l'Ukraine ne cesse d'étonner. Longtemps considérée comme une « zone stratégique grise » et une périphérie anonyme du monde russe, elle a subitement émergé en tant qu'acteur autonome. Le président Viktor Iouchtchenko a annoncé clairement son intention de rejoindre l'Alliance atlantique et, à plus long terme, d'intégrer l'Union européenne. Cette orientation pro-occidentale et pro-européenne est immuable, affirme-t-il, car l'indépendance complète vis-à-vis de Moscou passe nécessairement par un rapprochement avec Bruxelles et Washington. Vladimir Poutine se dépense pourtant sans compter pour tenter de faire revenir l'Ukraine dans le giron russe. Durant l'hiver 2005-2006, il n'a pas hésité à déclencher une guerre du gaz qui, en entraînant une hausse spectaculaire du prix de cette énergie vitale pour la sidérurgie ukrainienne, a mis en péril sa compétitivité sur le marché mondial. Par la suite, les médias russes ont lancé une véritable campagne de propagande, dénonçant les menaces qui pèsent sur la langue russe en Ukraine, dont l'utilisation, selon le Kremlin, est systématiquement restreinte par Kiev. Dans la foulée, la classe politique moscovite s'est violemment opposée à toute réduction de la durée de la concession de la base navale de Sébastopol qui héberge la Flotte russe de la mer Noire. Il fut même question d'invalider la reconnaissance par la Russie des frontières ukrainiennes, un accord obtenu par Kiev en 1997 en échange, d'après Moscou, de la location de ces installations de Sébastopol à la marine russe. La tension est montée d'un cran supplémentaire avec le contentieux ukraino-russe au sujet d'un îlot dans le détroit de Kertch (1). Les journalistes russes n'hésitent plus à évoquer une solution militaire.
Ces tentatives de reprise en main se révèlent néanmoins peu efficaces. Contrairement aux Russes, dont beaucoup semblent accepter le « retour au passé soviétique » (2), les Ukrainiens, réveillés par la « révolution orange », sont décidés à sortir du soviétisme, quel que soit le prix à payer. Les tensions actuelles entre l'Ukraine et la Russie n'ont que peu d'effet sur la très nombreuse communauté russe et russophone d'Ukraine, concentrée essentiellement dans l'est et le sud du pays. Malgré la vigueur des liens culturels qui les rattachent à la mère patrie, ils sont fiers de leur nationalité ukrainienne et de leur nouvelle identité née de l'implosion de l'Union soviétique.
Le 1er décembre 1991, les citoyens ukrainiens se sont, en effet, massivement prononcés pour l'indépendance de leur pays (3). Il s'agissait plus d'un vote contre une Union soviétique en faillite que de l'expression d'un mouvement national (les nationalistes ukrainiens du Roukh sont restés largement minoritaires en 1991 (4)). Le référendum ukrainien mit alors un terme aux espoirs de Mikhaïl Gorbatchev de sauver l'Union soviétique. Sans l'Ukraine, une telle reconstitution n'avait plus de sens. Les deux républiques soviétiques les plus peuplées, la Russie et l'Ukraine, réunissaient à elles seules plus de 200 millions d'habitants sur les 285 millions que comptait l'URSS à cette date.
L'importance que revêt l'Ukraine aux yeux de Moscou dépasse néanmoins largement la question démographique. Plus que les …