À 60 ans, le journaliste et écrivain Robert Fisk peut se prévaloir d'une fidélité de quelque trente années à l'égard du Proche et du Moyen-Orient. Pas une guerre qu'il n'ait suivie, en particulier le long conflit libanais (1975-1990), comme envoyé spécial ou correspondant pour les journaux britanniques The Times et The Independent. En 1982, il est l'un des deux seuls journalistes occidentaux à pouvoir accéder à Hama, la grande ville syrienne assiégée puis détruite par l'armée syrienne pour s'être révoltée, à l'instigation des Frères musulmans, contre le régime de Hafez el-Assad. En septembre de la même année, il découvre les massacres des camps palestiniens de Sabra et Chatila, à Beyrouth, commis par les Phalanges libanaises, et il est l'un des premiers à relever la responsabilité indirecte de l'armée israélienne dans ces tueries. Robert Fisk est également le seul journaliste occidental à avoir rencontré pas moins de trois fois, au Soudan et en Afghanistan, Oussama Ben Laden avant le 11 septembre 2001. On le verra aussi suivre les guerres d'Irak et d'Afghanistan - où il a manqué être tué. Le 14 février 2005, il se trouvait à quelques centaines de mètres du lieu de l'attentat où périt l'ancien premier ministre libanais Rafic Hariri et fut l'un des premiers témoins à approcher les lieux de l'explosion.
Observateur engagé, volontiers antiaméricain et peu indulgent envers Israël, celui dont le Financial Times estime qu'il est un correspondant de guerre « inégalé » et « l'un des plus remarquables reporters de sa génération », sait être, aussi, un analyste rigoureux.
J.-P. P.
Jean-Pierre Perrin - Monsieur Fisk, vous arpentez le Moyen-Orient depuis des décennies. Vous « sentez » très bien les situations. Pourquoi êtes-vous aussi sûr de la culpabilité de la Syrie dans l'assassinat de Rafic Hariri ?
Robert Fisk - Je suis certain que c'est une organisation liée au régime syrien qui a éliminé Rafic Hariri. Mes amis, au sein des forces de sécurité libanaises, m'ont donné les noms des quatre officiers qui ont été chargés de faire disparaître les preuves. Ce sont des Libanais qui travaillent pour les Syriens. Ils sont allés chercher au fond du cratère de la bombe certaines pièces du véhicule et les ont remplacées par d'autres pièces, puis ils ont fait enlever le tout. La nuit même de l'attentat, vers minuit. J'ai cité les noms de ces quatre officiers dans mon journal. Mais je ne pense pas que Bachar soit directement impliqué. Ce sont les forces de sécurité du parti Baas qui ont fait le coup. Bien sûr, les amis de la Syrie prétendent que c'est impossible, que tuer Hariri aurait été une décision stupide puisque c'est elle qui, par la suite, a provoqué le retrait de l'armée de Damas du Liban. Mais les choses ne se passent pas de cette manière en Syrie.
Les forces de sécurité ont simplement décrété que Hariri était un ennemi du peuple et qu'il fallait donc le liquider. Le premier chef des enquêteurs de l'ONU, Detlev Mehlis, l'avait bien compris. Dans son rapport, les noms de plusieurs responsables syriens ont d'ailleurs été censurés (1). Ce rapport était pourtant remarquable. Il avait été établi d'après la très bonne enquête menée par un membre de son équipe, un officier de police irlandais. C'est sur la base de cette enquête que l'ONU a décidé de créer un tribunal international. Je connais ce policier et il est formel : ce sont les Syriens. Mais, comme les Américains ont besoin de l'aide de Damas sur le dossier irakien, ils ont fait pression pour que l'enquête soit interrompue. Au Moyen-Orient, tout se marchande. Les Syriens leur ont dit : arrêtez le tribunal international et vous pourrez compter sur nous en Irak. Tout le monde sait bien que la Syrie laissait passer par ses frontières les kamikazes qui venaient commettre des attentats dans ce pays. Depuis quelques mois, la surveillance s'est un peu renforcée...
J.-P. P. - La Syrie est-elle aussi derrière les autres attentats commis contre des personnalités libanaises, majoritairement de confession chrétienne ?
R. F. - Après chaque attentat on accuse la Syrie. Mais les responsabilités ne sont pas si claires ! Pour Georges Hawi (2), je ne sais pas. Pour le journaliste Samir Kassir, cela ne fait aucun doute, car Jamil as-Sayyed (3) l'avait souvent menacé ; de même que pour la journaliste May Chidiac (4). Quant à Pierre Gemayel, je ne suis pas sûr non plus qu'il ait été tué par les Syriens. Peut-être a-t-il été victime d'un conflit entre chrétiens...
J.-P. P. - Croyez-vous qu'un tribunal international chargé de juger les assassins …
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