Avec la perestroïka, les dissidents croient enfin leur temps venu. Sakharov devient l'un des hommes les plus populaires du pays, le peuple veut apprendre la vérité sur son histoire et les parias d'hier sont acclamés. C'est alors que naît Mémorial, une organisation initialement destinée à faire la lumière sur le Goulag et sur le destin des millions de personnes qui y ont péri. Andreï Sakharov en sera le président jusqu'à sa mort, en décembre 1989. Sergueï Kovalev lui succède. En 1990, il est élu député. Il sera systématiquement réélu jusqu'en 2003. Le premier mandat de Boris Eltsine lui est globalement favorable : il est nommé, en 1993, conseiller du président pour les droits de l'homme, un poste qu'il quittera avec fracas en janvier 1996, estimant que sa présence auprès du numéro un russe ne sert qu'à offrir au Kremlin un paravent de légitimité démocratique. En effet, ses appels à l'arrêt de la guerre de Tchétchénie (1994-1996) ne sont guère écoutés.
Sa renommée dépasse les frontières puisqu'il a été présenté au prix Nobel de la paix en 1995 et 1996. Cette année encore, il a des chances d'aller à Oslo : cette fois, c'est Mémorial qui a été nominée, en février dernier, sur l'initiative d'un groupe de députés au Parlement européen. Le champ d'action de l'ONG s'est considérablement élargi depuis sa fondation : en effet, elle se consacre désormais autant à défendre les simples citoyens de l'arbitraire du pouvoir qu'à sa tâche de recherche historique. Toujours dans le même but : faire de la Russie un État démocratique. Mais l'action de Sergueï Kovalev ne se résume pas à son rôle au sein de Mémorial. Ces dernières années, il s'est beaucoup impliqué dans la Commission d'enquête sur les attentats de 1999 (2) - une structure indépendante qui tente, tant bien que mal, de découvrir la vérité sur cette mystérieuse série d'explosions qui fut le prélude à la deuxième guerre de Tchétchénie.
Le 11 décembre 2006, Sergueï Kovalev a reçu, à Moscou, des mains de l'ambassadeur de France, les insignes d'officier de la Légion d'honneur. Le 22 septembre précédent, Vladimir Poutine, lui, avait été fait grand-croix par Jacques Chirac.
G. R.
Grégory Rayko - Avez-vous songé à refuser la Légion d'honneur pour protester contre le fait que, un mois et demi plus tôt, la France avait honoré de la grand-croix Vladimir Poutine, un homme que vous ne portez guère dans votre coeur ?
Sergueï Kovalev - Je me suis posé la question, en effet. Mais je me suis dit que c'était là une bonne façon de montrer au maître du Kremlin et à ses acolytes que leurs opposants pouvaient, eux aussi, être entendus en Occident.
G. R. - Vous êtes l'un des contempteurs les plus féroces du système Poutine. Avant d'aborder en profondeur la nature du régime russe actuel, pouvez-vous nous livrer votre opinion sur le dernier scandale en date, à savoir l'affaire Litvinenko, ce mystérieux assassinat au polonium d'un ex-espion du FSB ?
S. K. - Les officiels russes affirment au sujet de ce meurtre - comme ils l'avaient déjà fait à propos de celui de la journaliste Anna Politkovskaïa - que le crime a pu être commis par des forces malveillantes désireuses de jeter le discrédit sur le Kremlin. Dans cette vision des choses, on songe immédiatement à Boris Berezovski (3). Mais cette accusation ne tient pas la route : Litvinenko était pour Berezovski un allié bien trop précieux pour qu'il le fasse tuer. Comme vous le savez, l'ancien oligarque s'est lancé dans une dénonciation tous azimuts du régime de Vladimir Poutine. Or Litvinenko, de son côté, enquêtait sur les zones d'ombre des attentats de 1999. S'il avait réussi à prouver l'implication du FSB dans ces explosions, il aurait offert à Berezovski une arme essentielle dans son combat contre Poutine.
G. R. - Quel rôle les attentats de 1999 ont-ils joué dans la carrière de l'actuel président russe ?
S. K. - Un rôle absolument déterminant. Ils ont permis à Poutine, alors tout juste nommé premier ministre et complètement inconnu dans le pays, de se doter d'une image d'« homme à poigne », un élément prépondérant dans son triomphe à la présidentielle de mars 2000. Je me souviens très bien que, début août 1999, en apprenant sa nomination à la tête du gouvernement, les gens essayaient désespérément de mettre un visage sur son nom ! On savait qu'il était, depuis peu, le chef du FSB ; mais, à ce poste, il s'était montré très discret. Il fallait donc absolument qu'il se révèle au grand public... ce qui fut fait quand, après les attentats, il apparut à la télévision, l'air martial, en promettant d'« aller buter les terroristes jusque dans les chiottes ».
G. R. - Vous-même êtes un expert de ce dossier. Quel jugement portez-vous sur les analyses de Litvinenko ?
S. K. - Je pense que certains des points qu'il a soulevés sont intéressants. Mais la teneur générale de ses travaux me déplaît. On ne peut caractériser son approche autrement que par le terme de « propagande noire » : en quelque sorte, il désirait concurrencer la propagande orchestrée par le Kremlin. C'est sur ce plan-là qu'il s'était …
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