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GRECE: UNE POLITIQUE ETRANGERE SANS COMPLEXE

Le destin de Dora Bakoyannis commence comme celui d'une héroïne de tragédie grecque. Âgée d'à peine quatorze ans, la jeune Dora fuit la Grèce avec son père, Constantin Mitsotakis, homme politique de premier plan et adversaire résolu de la dictature des colonels (1967-1974). C'est durant son exil en France et en Allemagne qu'elle rencontre Pavlos Bakoyannis, journaliste de renom, élu député après le rétablissement de la démocratie, qui deviendra son époux. En 1989, celui-ci est assassiné par l'organisation terroriste du « 17 Novembre »...Dora décide alors de continuer le combat mené par son mari en faveur des valeurs démocratiques en se faisant élire au Parlement hellénique sous les couleurs de la Nouvelle Démocratie, la grande formation de la droite libérale dirigée par son père. C'est aux côtés de celui-ci, devenu premier ministre en 1990, qu'elle va occuper plusieurs postes ministériels, notamment celui de la Culture. Première femme élue maire d'Athènes, elle accueille en août 2004 des Jeux Olympiques magistralement organisés et dont la réussite a été saluée dans le monde entier. En février 2006, elle devient ministre des Affaires étrangères dans le gouvernement de Costas Caramanlis, chef de la Nouvelle Démocratie, qui a remporté les élections de mars 2004.
À la tête de la diplomatie grecque depuis un peu plus d'un an, Dora Bakoyannis fait ici le bilan de son action personnelle et des initiatives de la Grèce, qui fut membre du Conseil de sécurité de l'ONU en 2005 et 2006. Elle souligne qu'Athènes maintient les changements d'orientation de politique étrangère amorcés en 1999 par le gouvernement socialiste de Costas Simitis : la détente avec Ankara, qui se substitue au traditionnel affrontement gréco-turc, et le rapprochement avec Washington, qui prend le contre-pied d'un anti-américanisme profondément ancré dans la mentalité collective. De son côté, l'opinion publique grecque observe qu'Ankara, avec le soutien discret de Washington, n'a pas renoncé à remettre en cause l'actuel statut de la mer Égée ni à continuer d'occuper le nord de la République de Chypre...
Travaillant sur le long terme, Dora Bakoyannis entend briser les blocages diplomatiques qui entravent l'évolution des relations internationales. Personnalité la plus populaire de Grèce, elle possède les qualités du vrai leader : celui qui - comme le lui a appris son père - voit plus loin que le lendemain.
I. L. et J. C.

Isabelle Lasserre et Jean Catsiapis - Vous êtes, selon les sondages, la personnalité la plus populaire de Grèce. L'organisation City Mayors vous a même décerné, en 2005, le titre de « World Mayor » pour le travail remarquable que vous avez accompli à la mairie d'Athènes (1). Comment expliquez-vous cet engouement ?

Dora Bakoyannis - Les Grecs en ont assez des hommes et des femmes politiques qui ne parlent que la langue de bois. Ils récusent le « politiquement correct ». Moi, je parle comme je pense. Et cela plaît aux gens.

I. L. et J. C. - Vous avez dû quitter la Grèce avec vos parents au moment de l'arrivée des colonels (2). Dans quelle mesure cet exil forcé vous a-t-il influencée ?

D. B. - L'exil est une expérience très douloureuse pour une enfant de quatorze ans qui ne sait pas si elle est partie pour un an ou pour toujours. Mais, rétrospectivement, ce séjour en France m'a aussi donné le sens de l'Europe. Élève dans une école allemande à Paris, dans un milieu très international, j'étais aux premières loges pour assister à l'émergence de l'idée européenne.

I. L. et J. C. - Quelles sont les valeurs que votre père vous a transmises ?

D. B. - Mon père a été deux fois condamné à mort par les Allemands. Il a été emprisonné sous la dictature des colonels. Il s'est toujours battu pour ses convictions. Il m'a appris deux choses : la première, c'est qu'il n'y a qu'une force en politique, le peuple. La seconde, c'est la différence entre un politicien et un leader. Le politicien se préoccupe uniquement du lendemain. Le leader, lui, s'efforce de voir plus loin ; il doit se comporter de manière responsable vis-à-vis du peuple, oser lui dire les choses, même quand elles sont désagréables. Répondre aux inquiétudes et aux espoirs de mon pays, quelles que soient les résistances, ne pas céder à la facilité : c'est ma manière d'aimer la Grèce et d'essayer de rendre aux Grecs ce qu'ils m'ont donné. C'est ce que je fais, par exemple, en plaidant pour l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne.

I. L. et J. C. - Serez-vous la première femme à accéder au poste de premier ministre en Grèce ?

D. B. - Dans mon pays, la question est encore largement taboue mais, en définitive, je ne pense pas que les électeurs nous jugent en tant qu'homme ou en tant que femme. Ils se déterminent en fonction des compétences. Le jour du vote, les candidats, comme les anges, n'ont pas de sexe...

I. L. et J. C. - Le mont Athos qui, sur le plan juridique, dépend de votre ministère, est interdit aux femmes. Comment faites-vous pour vous assurer que les lois de la République grecque y sont respectées ?

D. B. - Que voulez-vous que je fasse ? J'y envoie un homme (3) ! Lorsque j'avais vingt ans, je ne supportais pas cette ségrégation. Mais un professeur m'a persuadée que certaines choses devaient …