Les Grands de ce monde s'expriment dans

LA DIPLOMATIE IKEA

Antoine Jacob - Lorsque vous dirigiez le gouvernement, entre 1991 et 1994, vous étiez un chaud partisan de l'adhésion de la Suède à l'Otan. Aujourd'hui, où en sont les discussions sur ce thème ? Sauf erreur, la population reste très attachée à la neutralité du royaume (1)...

Carl Bildt - Le sujet n'a jamais réellement été d'actualité au début des années 1990. L'Europe était alors en plein bouleversement, et personne ne savait ce que l'Otan allait devenir. Il n'y avait pas de raisons de poser aux Suédois la question de l'adhésion. Le temps a montré, depuis, que cette organisation revêt deux fonctions importantes : la première - et elle n'est pas à sous-estimer -, c'est une garantie de sécurité ultime, surtout pour les nouveaux membres d'Europe centrale et orientale qui, pour des raisons historiques, y sont très attachés. La seconde fonction est opérationnelle : entre autres tâches, l'Otan coordonne des interventions hors zone, au Kosovo et en Afghanistan, auxquelles la Suède a pris part. Mais, quels que soient ses mérites, l'adhésion n'est pas à l'ordre du jour. Pour ce qui nous concerne, nous avons développé avec l'Otan une coopération pratique et, pour le moment, cet aspect nous suffit.

A. J. - En dépit de cette coopération pratique dont vous parlez, le gouvernement suédois se réclame volontiers de la « non-alliance militaire ». L'expression n'est-elle pas devenue anachronique ?

C. B. - Si vous relisez la première déclaration de politique étrangère publiée par le nouveau gouvernement, le 14 février 2007, vous constaterez que nous y réaffirmons notre « non-alliance » militaire. Mais nous disons en même temps que nous sommes membres d'une alliance politique, l'Union européenne, qui, dans le cadre de sa politique de sécurité, s'est dotée de moyens militaires auxquels nous contribuons.

A. J. - Finalement, la Suède, bien qu'officiellement « non alliée », est plus impliquée dans les opérations militaires de l'Union européenne que le Danemark, qui est pourtant l'un des membres fondateurs de l'Otan...

C. B. - Le parallèle est intéressant. Le Danemark appartient à l'Otan depuis 1949. Des troupes étrangères ont stationné un temps sur son territoire, comme en Norvège. Ce n'est plus le cas depuis la fin de la guerre froide. En revanche, le Danemark ne participe pas à la politique européenne de défense et de sécurité. C'est l'une des conséquences du rejet danois du traité de Maastricht, lors du référendum de 1992 (2). Vous avez donc raison : nous sommes plus impliqués dans la politique étrangère et de sécurité de l'UE que ne l'est notre voisin danois.

A. J. - Dans quelle situation la Suède se trouve-t-elle aujourd'hui en termes de sécurité ?

C. B. - Il faudrait remonter très loin en arrière pour retrouver un contexte aussi favorable. Pendant la guerre froide, la menace soviétique était toute proche. Dans l'entre-deux-guerres, nous subissions les contrecoups de la rivalité germano-russe dans la région baltique. Avant la Première Guerre mondiale, la Russie se trouvait directement à nos portes, sur l'archipel d'Åland, car la Finlande faisait alors partie …