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LES DEMOCRATES CONTRE LE KREMLIN

Né en 1957 dans la région de Moscou, Mikhaïl Kassianov a effectué, dans les années 1980 et 1990, une brillante carrière d'ingénieur du bâtiment, puis d'économiste, au sein du Comité d'État au plan et du ministère de l'Économie, ce qui lui a valu de devenir ministre des Finances en mai 1999. Vladimir Poutine, élu président en mars 2000, en fera son premier ministre le 18 mai 2000. Un poste qu'il conservera pendant presque quatre ans. Mais, progressivement, le fossé se creuse entre le président et le chef du gouvernement : ce dernier s'oppose au cours de plus en plus autoritaire défini par le locataire du Kremlin, aussi bien en matière politique que dans le domaine de l'économie.En février 2004, quelques semaines avant la présidentielle qui verra Vladimir Poutine réélu au premier tour, le premier ministre est limogé. Kassianov se rapproche alors des partis démocratiques. En 2005, il se dit prêt à incarner l'opposition politique au président Poutine et annonce qu'il envisage d'être candidat à la présidentielle de mars 2008. Il subit immédiatement une attaque en règle de la part du fisc, qui lui reproche d'avoir sous-payé une datcha (maison de campagne) acquise avant son départ du gouvernement. Une datcha qui lui sera finalement confisquée. Il est, également, présenté par les partisans de Poutine comme un « ennemi de la Russie », corrompu et acquis aux Américains.
Malgré ces intimidations, l'ex-chef du gouvernement refuse de quitter la scène politique et continue de travailler à l'union des démocrates en vue des prochaines échéances électorales : les législatives de décembre 2007 et, surtout, la présidentielle de mars 2008. L'homme est volontaire et ambitieux. Bon nombre d'observateurs le comparent déjà à l'Ukrainien Viktor Iou-chtchenko, qui avait été le premier ministre du très autoritaire président Léonid Koutchma avant de jeter bas son système lors de la fameuse révolution orange...
G. R.

Marie Jégo et Grégory Rayko - En Russie, plus le champ des libertés s'amenuise, plus la confiance envers le président Vladimir Poutine - évaluée à 81 % selon le centre d'étude de l'opinion publique Iouri Levada - grandit. Comment expliquez-vous ce paradoxe ?

Mikhaïl Kassianov - Je ne suis pas d'accord avec un tel constat. C'est même tout le contraire ! La confiance de la population décroît. Elle décroît envers le président et, surtout, envers le système de pouvoir mis en place ces deux dernières années. En ce moment, nous assistons plutôt à une montée des tendances protestataires. Les gens manifestent, ils sont de plus en plus nombreux à le faire. Et qui sont ces manifestants ? Des militants politiques chevronnés ? Non, il s'agit de simples citoyens exaspérés par le cours que le pays a pris depuis quelques années.
À cet égard, je pense que la tragédie de Beslan, en septembre 2004, a représenté un tournant majeur. Au cours des semaines qui ont suivi la prise d'otages, le président Poutine et son entourage, au lieu de prendre des mesures visant à garantir la sécurité de chaque citoyen face à la menace terroriste, se sont servis de cet événement tragique pour faire adopter des lois qui ont changé l'esprit de la Constitution.

M. J. et G. R. - À quelles lois faites-vous allusion ?

M. K. - Je pense à la loi qui a aboli l'élection des gouverneurs - qui sont, désormais, nommés par le président ; à celle qui interdit aux candidats indépendants, non affiliés à un parti, de se présenter aux élections législatives ; au passage de 5 à 7 % du seuil nécessaire pour qu'un parti ayant participé aux législatives puisse entrer au Parlement ; ou encore à l'obligation faite à un parti de disposer d'au moins 50 000 militants déclarés pour être enregistré. J'estime que ces lois, adoptées sans aucune discussion, en l'espace de trois mois, sont anti-démocratiques. Et elles font beaucoup de mal à un pays où la démocratie est encore en cours d'élaboration.
Ces mesures illustrent parfaitement la réduction globale des libertés politiques et civiques à laquelle on assiste en Russie. Écartés de l'espace politique et social, les citoyens n'ont pas leur mot à dire sur les orientations du pays. Prenons, par exemple, la nomination des gouverneurs par le centre. A-t-on bien mesuré que cette mesure mettait un terme à la notion même de Fédération ? D'un bout à l'autre de la Russie - un pays immense, peuplé d'innombrables ethnies et riche de multiples traditions -, les populations locales n'ont plus de contrat social avec le gouverneur. Elles ne peuvent plus influencer ses décisions. Le gouverneur se moque bien de ce que ses administrés pensent car son maintien au pouvoir ne dépend plus de leurs voix. Pour lui, un seul interlocuteur compte : son électeur ultime, le président.

M. J. et G. R. - Vous vous montrez très véhément. Pourtant, quand vous étiez premier ministre, de 2000 à 2004, vous sembliez en phase avec …