Par surcroît, la crise russo-ukrainienne a coïncidé avec une réorganisation du secteur de l'énergie au sein de l'UE : quelques champions nationaux ont entrepris de racheter toutes les entreprises qui pouvaient l'être, puis ont lancé des OPA d'un montant record en prévision de la libéralisation à venir. Une inquiétude d'un autre type a alors émergé : les entreprises européennes de taille moyenne allaient-elles être « gobées » d'une seule bouchée par le géant russe, doté d'une puissance financière sans égale ?
Il est donc devenu brusquement nécessaire de comprendre la stratégie, le fonctionnement interne et les logiques à l'oeuvre au sein de Gazprom. Le premier groupe de production gazière au monde, avec ses 550 milliards de mètres cubes extraits par an, est aussi la quatrième capitalisation boursière de la planète (2) et la plus grosse entreprise de Russie : elle pèse, à elle seule, près de 8 % du PIB du pays, emploie 400 000 salariés, gère 153 000 kilomètres de gazoducs principaux et est assise sur près de 30 % des réserves mondiales connues de gaz naturel. Pour le Kremlin, désireux de refaire de la Russie une grande puissance, c'est un atout sans équivalent. Si l'on souhaite décrypter la politique russe, il est indispensable de savoir où va Gazprom.
Un instrument inestimable
Près de dix-huit mois après l'affaire ukrainienne, force est de reconnaître que d'importantes zones d'ombre planent toujours sur le mode de prise de décision et les objectifs de l'entreprise. Une chose, cependant, ne fait aucun doute : la compagnie gazière apparaît comme l'instrument privilégié de l'État russe. Depuis son arrivée aux affaires, en 1999, Vladimir Poutine a largement utilisé Gazprom pour reprendre en main l'économie nationale et rendre à la Russie une influence qu'elle avait perdue hors de ses frontières. On peut même aller …