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GAZPROM, UN GEANT AU SERVICE DU KREMLIN

Nul ne l'a oublié : le 1er janvier 2006, après un bras de fer de plusieurs mois, la Russie a mis ses menaces à exécution et coupé le gaz à l'Ukraine. S'ensuivit une chute de pression dans l'ensemble du système européen de gazoducs. Des baisses d'arrivée du gaz furent ressenties jusqu'en Italie et en France. D'un coup, les Européens ont pris conscience de leur dépendance vis-à-vis du géant Gazprom - une entreprise majoritairement contrôlée par l'État russe qui fournit 26 % du gaz consommé au sein de l'UE... mais jusqu'à 38 % du gaz allemand et plus de 70 % de la consommation de l'Autriche, de la Hongrie et de la République tchèque (1). Le choc a été d'autant plus rude qu'il est survenu au moment où plusieurs analystes mettaient en doute la capacité de Gazprom à honorer tous ses contrats à l'horizon des vingt ans à venir, faute d'investissements suffisants dans la production. La question de la fiabilité de Gazprom est, en effet, devenue récurrente. Les dirigeants de l'entreprise ont beau assurer que « Gazprom est un partenaire fiable et prévisible », rien n'y fait. Avec ses réactions brusques, son appétit sans limite et sa force impressionnante, le géant russe fait peur.
Par surcroît, la crise russo-ukrainienne a coïncidé avec une réorganisation du secteur de l'énergie au sein de l'UE : quelques champions nationaux ont entrepris de racheter toutes les entreprises qui pouvaient l'être, puis ont lancé des OPA d'un montant record en prévision de la libéralisation à venir. Une inquiétude d'un autre type a alors émergé : les entreprises européennes de taille moyenne allaient-elles être « gobées » d'une seule bouchée par le géant russe, doté d'une puissance financière sans égale ?
Il est donc devenu brusquement nécessaire de comprendre la stratégie, le fonctionnement interne et les logiques à l'oeuvre au sein de Gazprom. Le premier groupe de production gazière au monde, avec ses 550 milliards de mètres cubes extraits par an, est aussi la quatrième capitalisation boursière de la planète (2) et la plus grosse entreprise de Russie : elle pèse, à elle seule, près de 8 % du PIB du pays, emploie 400 000 salariés, gère 153 000 kilomètres de gazoducs principaux et est assise sur près de 30 % des réserves mondiales connues de gaz naturel. Pour le Kremlin, désireux de refaire de la Russie une grande puissance, c'est un atout sans équivalent. Si l'on souhaite décrypter la politique russe, il est indispensable de savoir où va Gazprom.
Un instrument inestimable
Près de dix-huit mois après l'affaire ukrainienne, force est de reconnaître que d'importantes zones d'ombre planent toujours sur le mode de prise de décision et les objectifs de l'entreprise. Une chose, cependant, ne fait aucun doute : la compagnie gazière apparaît comme l'instrument privilégié de l'État russe. Depuis son arrivée aux affaires, en 1999, Vladimir Poutine a largement utilisé Gazprom pour reprendre en main l'économie nationale et rendre à la Russie une influence qu'elle avait perdue hors de ses frontières. On peut même aller …