Les Grands de ce monde s'expriment dans

L'EUROPE QUI RENAIT

Cet entretien a été réalisé juste avant le Conseil européen des 21-22 juin. Il n'en demeure pas moins un élément de référence qui éclairera nos lecteurs tant sur les positions italiennes que sur le destin de l'Union européenne.

Richard Heuzé - Monsieur le président du Conseil, voilà plus d'un an que vous êtes revenu au pouvoir. Pendant ces quelques mois, l'Italie a multiplié les initiatives internationales : en Europe, où vous avez tenté de relancer le processus grippé par les référendums français et hollandais de 2005 ; au Liban, où votre pays a pris en février le commandement des Casques bleus de la Finul déployée à la frontière israélienne ; aux Nations unies, où, à peine élu membre non permanent du Conseil de sécurité, vous avez proposé un moratoire universel sur la peine de mort. Commençons par l'Europe. Traverse-t-elle, à votre avis, une crise profonde ou simplement une période d'ajustement ?

Romano Prodi - Disons-le clairement. L'Europe se trouve à un moment crucial de son existence. Son avenir se jouera d'ici aux élections de juin 2009. Lorsque j'ai repris la tête du gouvernement italien en mai 2006, la crise était à son comble. J'ai tout de suite pensé qu'il fallait faire le deuil du projet de Constitution et regarder vers l'avenir.
Je ne pouvais pas ignorer les arguments des pays qui n'avaient pas ratifié le Traité, notamment la Pologne, la République tchèque, la Grande-Bretagne, les Pays-Bas et la France (1). J'en ai discuté à l'époque avec Jacques Chirac, mais la France se trouvait à la veille d'échéances électorales capitales, et il était trop tôt pour dessiner une sortie de crise concrète.

R. H. - Jusque-là, vous étiez à l'écoute des « réfractaires » au Traité. Du moins de ceux qui ne l'avaient pas ratifié tout en l'ayant signé. Puis vous avez commencé à défendre le point de vue des autres, des dix-huit pays qui, eux, l'avaient ratifié. Pourquoi ?

R. P. - Il y a environ quatre ou cinq mois, j'ai estimé que le temps était venu de se montrer plus déterminé, de faire preuve de davantage de courage. J'ai pensé que l'Europe devait aller de l'avant, en finir avec ces discussions exténuantes, faire des choix, prendre des décisions. Dans ce domaine, elle ne part pas de zéro. Il lui suffit de reprendre les travaux de la Convention présidée par Valéry Giscard d'Estaing qui ont servi de base au Traité signé en octobre 2004. Comme je le disais récemment devant le Parlement européen (2), c'est un beau texte. Vraiment beau. Avec un vrai souffle européen. Dans la première partie surtout, il exprime de manière claire et compréhensible le sens de cette grande oeuvre commune. De plus, il est le résultat d'un travail démocratique. La Convention, les Parlements nationaux, le Parlement européen : chacun a apporté sa contribution. Réfléchissons-y donc à deux fois avant de le remiser sur une étagère ! N'oublions pas que ce Traité a été signé par tous, même si seulement dix-huit paysl'ont ratifié. Ses acquis sont toujours d'actualité. Sachons lespréserver.

R. H. - Pensez-vous que cela sera possible ?

R. P. - Les négociations, telles qu'elles se sont déroulées jusqu'à présent, m'incitent à penser que le Traité sera remanié. Pour tous ceux qui croient dans …